Faire le tour de la montagne n’a pas été pour moi aussi
agréable que ce que je prévoyais. Disons qu’une partie de mon énergie et de mon
plaisir ont été phagocytés par le fait qu’au lieu de deux, nous nous sommes
retrouvées à cinq. Dès le départ il a fallu attendre l’un qui n’avait pas d’eau,
s’arrêter pour un autre, marcher moins vite…. Le problème était surtout centré
sur une suisse qui semblait faire la course avec un escargot et surtout nous a
fait longuement attendre à un petit temple car elle semblait attendre la
descente du divin en elle…pas évident de partager des temps communs quand l’un
veut méditer pendant que l’autre veut marcher…mais bon, finalement, on a pris
tous le pli et on a su s’adapter les uns aux autres et je pense que mon
ressenti était partagé du coup tout le monde a fait un effort et c’est
peut-être cela l’essentiel de cet instant. J’imagine bien quand il y a 100
pélerins sous la pleine lune qu’il faut trouver un pas qui permette à chacun de
suivre le groupe. Encore un apprentissage pour moi.
Nous avons marché presque 4
heures avec quelques temps d’arrêts pour prendre des photos, boire, manger
quelques gâteaux pour les unes, fruits secs pour les autres. Je pensais que nous allions avoir quelques
moments de grimpette mais non, le tour est presque sans dénivelés et la
beauté est à ressentir dans la puissance des pierres , leurs dispositions en
ligne, en rond, en équilibre, aléatoires et naturelles, leurs inscriptions, les
petits temples disséminés ici et là, l’odeur des petites fleurs plus diaphanes
les unes que les autres, les chants des oiseaux…et surtout le sommet du mont à
observer à 360° avec ses clair-obscur en fonction de l’exposition au soleil.
Les sentiers s’ouvrent quelquefois sur des clairières offrant
de petites étendues d’eau dans lesquelles quelques sâdhus prennent leur bain et
finissent de sécher en méditant…
Parfois cependant, derrière un arbre on en
apercevait un en train de méditer dans une immobilité totale et qui semblait
être là depuis des siècles, les cheveux très longs, gris, le corps dénutri…Nous
passions notre chemin en approfondissant notre silence, comme si finalement ces
instantanés nous rappelaient la
particularité du lieu et l'enjeu de cette marche.
Il est vrai que depuis
des semaines, pratiquant l’initiation au yoga intégral à l’ashram de Sri
Aurobindo, je dois sans cesse lutter contre mes pensées souvent dominées par un
mental bien trop agité et critique à mon goût. Heureusement, j’apprends à
tempérer et à mettre ces pensées de plus en plus souvent de côté mais lorsque
je le fais un peu par force en tentant d’appeler à l’aide mon esprit que je
juge (peut-être à tort) défaillant, ça revient un peu en bourrasque peu de
temps après. Du coup je préfère juste faire preuve de vigilance mais accepter
ce qui me vient dans les tripes et dans la tête en me disant que ce sont aussi
ces émotions qui me permettent après de chercher l’essentiel et ce qui est à
retenir. Parce que si je dois à chaque fois faire table rase de ce qui se joue dans ma tête, c’est comme si après j’essayais
de faire un puzzle en ayant jeté les pièces au fur et à mesure que la couleur
ou la forme ne me plaisait pas. Ou l’homme est total, ou il ne l’est pas, mais
je ne vois pas en quoi l’appel du divin et/ou de l’esprit devrait écraser les
autres parties et le mental et le corps en particulier. Ne doit-on pas au
contraire penser que tout est dans tout et c'est bien souvent la fragilité assumée au milieu de la force qui aide à se respecter...
La force c’est surtout une question d’équilibre mais avant tout
une question de bien-être dans un environnement particulier il me semble. Parce
que si je dois m’amputer de ce qui m’a fait vivre jusqu’à présent juste parce
que je comprends que j’ai un peu tout mis dans la même balance, je risque en
enlevant trop d’un coup de vivre l’effet catapulte et de ne pas du tout savoir
gérer le peu d’une nouveauté que je ne sens pas vraiment actuellement même si
j’aimerais évidemment m’en sentir plus investie . Mais chacun son rythme
et surtout sa voie si je m’en réfère au Tao qui me semble plus compatible avec
ce en quoi je crois- en ce moment.
La montagne est quand
même simple et belle, sa végétation l’adoucit et invite vraiment à la
contemplation comme une caresse du regard.
Comme partout en Inde c’est le changement brutal de sons,
d’odeurs qui crée la rupture et nous fait descendre de notre petit nuage où
tout est harmonieux à l’image de la divinité et blablabla, les pieds glissent
sur des détritus puants, on entend les klaxons à tire larigot, les
arrière-cours donnant sur le bas de la montagne servent de toilette, le tour
parfait est bien imparfait et moi je dis : c’est ça la réalité, faite de
merde et de beauté, comme ce qui se joue à l’intérieur de nous et si on ne
l’accepte pas, c’est sûr que l’on peut aller méditer 24h sur 24 pour ne rien en
voir et ne rien en savoir, et penser dépasser ce qui est en nettoyant le tout à
coup de mantras…mais ce qui est EST, et le divin est aussi alors dans la bouse
de vache à éviter…et parfois personnellement, l’idée du divin me rend aussi
très mal à l’aise parce qu’il sonne faux à mes oreilles quand je le vois
investi par une bande de dévots qui passent leur journée à tirer la tronche et
à te regarder de travers dès que tu sors un peu du rang en remettant un peu en
question leur base inébranlable. Le divin est aussi dans leurs crachats, leurs
rots et leurs pets qu’ils te balancent à
la tête sans se soucier le moins du monde de la présence de l’autre, puisque ce
qui compte c’est qu’en soi, est le divin et que le reste, on s’en tape.
La montagne ne m’a pas endormie comme on peut le constater
et au contraire, plus je me tais, plus je pense, et plus je pense plus je vois
les nœuds de ce qui fait que le monde est monde comme une immense pelote qu’il
ne vaut mieux pas toujours tenter de dénouer afin de ne pas toucher le magma
d’enfer qui brûle et vocifère en son centre.
Cela dit, si l’on prend le devant de ce quartier en oubliant
l’arrière-boutique, tout devient beau et coloré. La montagne, les temples, les
maisons tamuls violettes, vertes, oranges, roses, les jarres bigarrées en
plastique entassées devant les fontaines, le linge qui claque pour être lavé
dans un lavoir en pierre blanche, les enfants qui sourient de leurs belles
dents blanches et font tourner des roues avec un bâton comme nos
grands-parents, les vaches qui allaitent leurs petits veaux, les mains qui se
lèvent en faisant tinter les bracelets qui brillent en même tant qu’un «
Hi ! » annonce un beau sourire en attendant une réponse de notre
part, nous, touristes privilégiés à la recherche du sacré : il est là, le
sacré, autant que dans la montagne.
Retour en emportant dans sa tête les klaxons de la ville.
Comment chasser le bruit ? C’est aussi difficile que les mots et je n’avais
qu’une envie, plonger sur mon lit et me reposer un peu à la recherche d’un vrai
silence, celui où personne ne peut me voir, celui où je n’ai rien à prouver à
personne sauf à moi-même, et là, j’étais fatiguée et je me sentais très
bizarre, comme si faire le tour de la montagne m’avait lancée comme une toupie
sans savoir où et quand j’allais m’arrêter. J’avais un peu le tournis à ce
moment et c’est un petit somme de dix minutes avant le repas -mais après avoir
avalé une papaye entière achetée sur le bord de la route- qui aurait dû me faire
du bien….mais…autre chose avait décidé de s'éveiller en moi...
Me voici encore assise dans le dining-room près de
l’allemande qui parle tout le temps et commente ce qu’il y a dans les
assiettes : silence c’est écrit, mais apparemment en allemand ça ne doit
pas vouloir dire cela, ni en américain d’ailleurs. Et là, j’ai détesté
l’horrible sauce pleine de crème que l’on m’a jetée sur mon riz. Du coup j’ai
redemandé du riz pour assécher le tout, ce qui m’a fait beaucoup trop manger.
C’était sans compter sur la sauce d’après, très épicée que l’on a resservie
avec du riz et vu que j’étais frustrée par le goût, j’en ai pris alors qu’en
général les occidentaux préfèrent ce qui est doux et sucré dixit
l’allemande en louchant sur ma feuille de bananier. Bien moi, je ne suis pas comme toi et si tu ne
veux pas recevoir mon butter milk dans le nez, commence par t’occuper de tes
doigts de pieds qui grignotent mon espace et s’avancent outrageusement vers mon
riz. Il y a de l’ambiance à l’ashram ! J’en ris en recopiant mon texte car
c’est vrai que je me suis fait à plusieurs reprises de sacrés soliloques qui
avec le recul pourraient faire office de sous-titrage dans un film comique et
muet. Comique ou…tragi-comique…
J’ai tenté de dissiper la vague qui commençait à monter en
moi en allant un peu méditer dans l'entrée du temple, dos au samadhi, encore
face aux écritures. J’ai tenu une vingtaine de minutes sans bouger ni ouvrir
les yeux grâce à ma fatigue puis je me suis installée assise sur le petit
chemin qui contourne le temple avec mon livre sur le Tao. J’ai eu du mal à me
concentrer vu le nombre de singes qui sont venus m’observer presque à vouloir
tourner mes pages.
Un ashramite s’est approché avec son habit orange et s’est
assis près de moi. Il a décidé de me protéger- un sens aigu de la lecture
intérieure ?- en me faisant tous les gestes rituels sur la tête et en me
poudrant le front de blanc et de rouge…Evidemment, il a fini par me demander
une pièce et je lui ai fait comprendre que moi et les roupies ça faisait deux
et qu’ici je ne me trimballais pas avec mon porte-monnaie coincé entre les pages
de mon livre . Il avait de l’humour, tant mieux pour lui, et il est
reparti. La poudre a vite attiré des
centaines de moucherons qui tentaient de suicider dans mes yeux alors j’ai filé
en m’agitant comme un singe me protéger dans ma chambre. Evidemment, l’indien
avait encore pris ses quartiers devant ma porte et il avait avec lui un copain
et la loi du silence là encore était bien transgressée…craché à deux, c'est plus sympa!
Visiblement je ne semblais pas très sereine, et c’est exact.
J’étais très frustrée de ne pas pouvoir aller marcher seule et décompresser de
la présence des autres dans la montagne. C’est surtout le risque d’agression
qui prime et franchement, ça ne m’aide pas à apprécier les hommes en général.
Diogène avec sa lanterne parmi les
hommes clamait : « je cherche un homme. » Moi j’éteins ma
lanterne et je dis : « je ne veux plus en voir aucun. »
Cling, bang, parfois quand on sent en soi l’éclatement, il
vaut mieux tenter de rassembler les morceaux avant qu’ils n’aillent trop loin…passage au gris.
La fracture c’est ça. C’est quand le monde sur lequel tu
marches s’effondre.
C’est la nuit et le brouillard.
Le plein qui s’accélère pour tenter l’approche du vide.
Nuit et brouillard. Toupie sans groupe électrogène devient
balle de flipper.
Sortir vite à la recherche d’une pitance, de cette anse qui
ne tient plus rien. Franchir des portes sacrées et s’enliser dans le tumulte du
monde.
Déregarder les pauvres, démisérer la misère, déruisseler ses
larmes, claquemurer ses pores, hermétique à tout et à tous.
Fermer les oreilles et déklaxonner en se défrôlant des
camions qui veulent ta mort mais ta mort t’appartient à toi seule.
Marcher à tout prix et au prix que ça coûte ici autant en
profiter. Tout ça en épinglant les larmes comme des papillons crevés, le cou
cloué à la pointe des épaules, orbites à la recherche de l’urgence du gouffre
et de l’engouffrement qui s’en suivra. Echec et dématte ces hommes qui
t’appellent en te reluquant : c’est pas le moment.
Puis l’angoisse de ne rien trouver…que la misère et les
gamelles vides, les petits étalages parfaitement organisés avec le minimum,
quand toi, rongée par la divine vermine, tu cherches le maximum pour
t’anesthésier.
Branlante, passagère du monde, à l’est comme à l’ouest ,
peut-être plus à vif ici quand il s’agit de survivre.
Aucune bordure en soi, comme ces rues dangereuses sans trottoirs,
comme ces rues où les trottoirs sont des tas d’ordures… L’ordure faire la
bordure, je suis bien une fille de l’est complètement à l’ouest.
Ne pas aller trop loin dans l’entre deux monde quand le cœur
et le ventre se trouent, quand le corps ne sait plus à qui il appartient et
avance tout seul comme un grand, pied gauche pied droit, de toute façon si t’as
pas de sol, tu ne sentiras pas le « la » : force de la démesure.
Aucune rambarde pour
s’appuyer, aucune chasse d’eau pour effacer, fuir les regards qui
déchiffrent ton mal comme une langue morte qui n’a pas de mystère pour les
initiés et revenir en urgence se cacher derrière sa moustiquaire. A la volée,
volets rabattus.
Chercher ce qui reste en consistance…à engouffrer. Croquer
en transe ses galettes de riz, rompre son unique banane à coup d’incisives,
combattre le manque sous les yeux débonnaires d’un guru en slip en train de
juger que tu fais fausse route…
Même pas vrai, j’avale tout droit même si dans
ma tête c’est un vrai dédale. Je dois tout faire à l’indienne et jongler avec
me seaux là où ça manque cruellement d’eau. « Don’t waste the food and
don’t waste water ! » J’enverrai ma fracture…toujours aucun bord,
juste le sol si bas qu’il ressemble à un sommet : j’ai le vertige.
C’est ça : un en-cas de vertige.
Le temps reprend son espace. S’enrouler dans un châle en
perte de soi, en cachure de corps gaché et se raccrocher au rythme de
l’ashram : c’est l’heure du thé.
Lieu miracle, diaboliquement beau avec ses colonnes
soutenantes en vieux bois peint en bleu, vert, rouge. Offrande d’un thé brûlant
que l’on enrubanne d’un verre à l’autre pour l’entortiller de froid : ça
me donne le mal de mer de regarder ces autres qui font valser le thé. Je
préfère la brûlure du thé immobile et le souffle qui attise et n’apaise rien.
Se taire. Coller le silence entre moi et l’autre ; devenir l’intouchable
et l’inabordable. Chants qui se répètent à l’infini. Répondre à l’appel.
S’assoir et se laisser saisir par la scansion ininterrompue des mantras a
capella. S’en faire une boulimie, en cherchant une satiété qui devrait venir et
ne vient pas…bien au contraire, et c’est normal puisqu’il est question
d’infini…
Ça commence par envahir la tête et peu à peu le corps se
fige, s’efface. Il devient mantra jusqu’au bout des doigts minute après minute
puis c’est mon sang qui circule, ma vie qui s’égrène telle un chapelet :
ne pas casser le fil, ne plus avoir à courir après les perles…
Soudain les pensées rebondissent : elles étaient juste
aller faire un petit somme….ma vie c’est quoi, c’est où, c’est pour qui, c’est
pour quoi, et mon passé j’en fais quoi…encore une fois ? Le temps se remet
en ligne tel un rail qui brûle à force de se râper dessus. Comment aller en
avant sans lâcher du passé, sans culpabiliser, sans penser ? Mes forces
m’abandonnent mais je n’ai toujours pas la force d’abandonner. Le temps en miroir, je tente de le briser et
de me raccrocher aux mantras qui hurlent de plus en plus fort dans mon crâne.
Ils sont extraordinaires ces chanteurs qui ne s’épuisent jamais : qui leur
donne ce souffle ? Comment peuvent-ils tenir aussi longtemps, ça n’a plus
rien d’humain…et pourtant il n’y a pas une coupure, pas une énergie qui tombe,
pas un sourire qui ne cesse, pas un corps qui semble craquer…pendant que moi je
suis en train de m’asphyxier avec rien et tout, trop de sons, d’images, de
pensées, de mots, de silence, de bruit…trop est trop. Le cadenas des larmes
saute, je tends les pupilles en trou pour les rattraper mais ça coule malgré
tout, toujours en coin, jamais très clairs ces yeux brouillards en vie
brouillonne. Je les ouvre et fixe au-delà en bloc-cure sur le mur blanc.
Bloc-corps en crans d’efforts. Visser l’écrou du ressaisissement…mantras plus
forts. Autour ils tournent ces autres hommes, ils tournent autour du samadhi
plus fous que moi, à la recherche de quoi, de qui ils sont peut-être…aussi
paumés que moi…mais le savent-ils ?
Sur mon lit, j’explose…faut que ça sorte…loquet fermé.
J’ai fini ma journée sur le mode de l’ostinato…à genoux,
mais pas pour prier…
tout n'est pas linéaire dans la vie....nulle part d'ailleurs .les images que tu trouves belles pour toi car elles sont nouvelles sont pour d'autres peut-être des cauchemars... ta vie n'est qu'une succession de moments présents essaie de la vivre au mieux en accord avec toi... sans trop chercher à plaire aux autres ,sans trop t'occuper de leurs jugements.Tu as un sac à dos ,à toi de le faire le plus léger possible....
RépondreSupprimerJe t'embrasse .Maman
merci maman, je sais que tu as raison mais je ne comprends jamais pourquoi d'un coup ça part en vrille et je n'arrive pas à arrêter le trou...
RépondreSupprimerMon sac à dos d'ailleurs aurait été mieux venu que ma valise qui pèse aussi lourd que ma tête en ce moment.
Là aller au jardin tous les matins m'aide. Bisous