dimanche 29 juillet 2012

Jour 1/3


Tiruvannamalai

Levée à 6h pour partir à Tiruvannamalai à 120 km de Pondichery. J’ai laissé ma valise à mon amie Equatorienne, Veronika, à la guest house et n’ai emporté que deux trois habits et un livre dans mon sac à dos. J’ai pensé à faire une photocopie du plan de la ville pour savoir m’orienter dès mon arrivée.
C’est sans problème que j’ai pris le bus. Je connais maintenant le prix des rickshaws pour me rendre à la station : entre 70 et 80 roupies. Je me repère bien sur place et il m’est aisé d’aller demander un simple renseignement au bureau d’information. Il s’agit du même bus que pour Gingee : le numéro 158 sur le quai numéro 7. Par chance, mon bus partait juste 15 minutes après mon arrivée. J’ai été surprise car la dernière fois  lorsque je l’ai pris, il était à 7h50 et l’on m’avait assuré qu’il s’agissait du premier. Mais à l’heure où je tape ce texte, je sais maintenant que lorsque l’on annonce qu’un bus part à 11H par exemple, le départ peut très bien être à 10h30 si ça chante au conducteur. C’est ainsi que pour le retour j’ai eu une chance extraordinaire de ne pas le rater !

Le bus est vraiment pourri mais ça vaut le coup de le prendre. Pour le prix d’abord : 47 roupies pour 3 heures de bus comparées aux 80 roupies de rickshaw pour deux kilomètres en ville, ça laisse songeur !
Après il faut supporter la permanence d’un klaxon qui troue les tympans, les multiples arrêts pour le ramassage scolaire, pour prendre les gens qui vont faire leur marché et se rendent d’un village à l’autre. J’ai servi d’oreiller à une vieille dame. Pas moyen de bouger un orteil, coincée entre la fenêtre, mon sac et sa tête. A chaque arrêt des marchands vendant samosas, snacks, fruits montent par l’avant et redescendent par l’arrière facilement puisque depuis la dernière fois aucune porte n’a été montée ce qui permet aux gens de sauter dans le bus en marche.
Un homme est monté avec un encensoir et il nous a tous enfumés les uns après les autres en nous passant son espèce de plumeau sur la tête et en demandant après quelques roupies. Tout le monde donnait alors j’ai dû chercher mon porte-monnaie tombé au fond de mon sac et vue ma situation j’étais bien empêtrée. Je lui ai donc fait signe de repasser au retour : il n’a pas oublié !
Nous sommes arrivés juste après un accident de la route mettant en cause une moto et une voiture qui a fini sa course dans le coin d’une maison en paille. Rien d’étonnant vu l’art de conduire ici. Comme je l’ai déjà écrit, ça passe ou ça casse et quand ça casse, ça fait très mal vu que les motards n’ont jamais de casque et qu’aucune limitation de vitesse ne semble exister.
Pendant le trajet j’ai été heureuse de repasser devant les belles collines de Gingee. Cette fois le temps était plus gris mais cela n’otait rien à leur force. A la sortie de cette petite ville, très vite se sont dessinées les montagnes de Tiruvannamalai et plus précisément Arunachala, le mont sacré. Je n’ai cessé de le regarder jusqu’à mon arrivée trois heures après.
En arrivant le conducteur m’a renseignée très aimablement sur les horaires du retour : il parlait un tamil-anglais mais on a pu quand même se comprendre.
J’ai décidé de ne pas prendre un rickshaw pour voir si j’étais capable de m’orienter seule avec la carte. J’ai beaucoup de plaisir à trouver des repères sans l’aide des autres et ça me permet de découvrir de nouveaux lieux autrement qu’à pleine vitesse. J’ai longé la montagne sur plus de 3 kilomètres en prenant à gauche en sortant la station de bus.

 C’est toujours tout droit jusqu’au temple Arunchaleshvara qu’il faut ensuite contourner par l’arrière. Il est majestueux, très haut et ce qui est amusant c’est de voir les singes grimper sur les portes et s’amuser autour des sculptures des divinités et de leurs montures. ( cherchez quelques singes!)

J’étais contente d’avoir peu de choses à porter pour une fois. Comme je ne savais pas où j’allais manger et si autour de l’ashram il allait y avoir la possibilité de faire quelques courses, j’ai acheté à de petits marchands des goyaves et des mangues.
Très vite- au bout de trois quart d’heures quand même mais je n’ai pas vu le temps passer- je suis arrivée devant la grande porte de l’ashram de Sri Ramana Maharsi. J’étais vraiment fière de m’être débrouillée seule sans rencontrer la moindre difficulté en route. Avant on passe devant un autre ashram.

 Le long de la route de nombreux saddhus tendent la main pour quelques roupies et je saurai très vite que Tiruvannamalai est la ville où les miséreux ont vite compris qu’il y avait matière à tenter la pitié…donc ne pas rentrer dans ce « jeu » et bien savoir à qui on donne quand on le fait et pourquoi on le fait.
Dans la cour, au milieu d’une végétation luxuriante, près d'un arbre au tronc magnifique j’ai laissé mes chaussures au pied d’un escalier sculpté et j’ai vite repéré l’office et le bureau du Président qui avait répondu à mon email imprimé que je tenais fermement dans ma main. 

Dans le bureau il n’y avait personne donc j’ai appelé et une voix m’a invitée à m’asseoir et à attendre. A ce moment, en bourrasque une femme est entrée en posant plein de sacs et m’a fait signe de la suivre. Je ne savais pas qui elle était ni pourquoi elle semblait si pressée que je la suive moi qui pensais arriver dans un lieu calme où le temps a moins de prise. Un peu déconcertée mais pensant qu’elle allait me montrer ma chambre, je l’ai suivie avec tous mes sacs. Seulement elle allait tellement vite que je la perdais sans cesse de vue et je me suis retrouvée à traverser presqu’en courant une grande salle où les gens étaient assis en train de méditer. Pas une fois cette femme s’est retournée pour voir si je la suivais ou non. Le sol me brûlait les pieds et à chaque fois qu’un bout de bois ou un gravillon me rentrait dans la chair je réprimais un cri. En plus j’étais en proie à une furieuse envie d’aller aux toilettes.  En fait, je me suis retrouvée dans le dining-room. Les portes allaient fermer ce qui expliquait le sprint dans l’ashram. Tout ça pour manger ! Les portes ont été fermées à clé derrière moi et plus moyen d’aller aux toilettes et de me laver les mains. Le hall était immense et parsemé de feuilles de bananier et de verres en métal posés sur le sol et les gens en file indienne s’asseyait au fur et à mesure de leur arrivée devant la feuille. J’ai posé mes sacs dans un coin et je me suis installée comme les autres. J’étais très mal à l’aise car ma hanche me faisait très mal et je me voyais mal manger avec ma main droite immonde sans pouvoir me plier vers l’avant, d’autant plus que j’avais la vessie pleine ; Je voyais déjà la catastrophe arrivée. Toutes les mains gauches étaient condamnées et cette fois je n’allais pas pouvoir tricher. Je voyais la crasse de ma main avec laquelle j’ai dû en plus laver ma feuille de bananier, mais bon fallait que j’assume la situation et c’est ce que j’ai fait.  Des hommes avec des sauts passent les uns après les autres, qui servant le riz, qui un peu d’huile à froid – c’est une première depuis que je suis en Inde !-, qui une sauce, qui une autre, qui  de l’eau….Le problème avec la sauce c’est qu’on te la sert à 60 cm d’altitude et quand ça arrive sur ta feuille tu en prends une partie sur toi. Tout était brûlant et je me demandais comment ces gens pouvaient se lancer avec leurs trois derniers doigts aussi vite dans cet immense malaxage. Leurs mains sont comme leurs pieds, insensibles. Pas les miennes ! Finalement j’ai compris l’intérêt des trois derniers doigts puisque cela permet de pousser avec le pouce resté libre et j’ai réussi à manger en tentant d’oublier l’idée de la saleté. C’est plus frugal qu’à l’ashram de Pondichery mais surtout meilleur et plus équilibré. Et finalement je saurai bien vite que l’on vient nous resservir si besoin. Mais quand à côté de toi tu as quelqu’un qui ne prend qu’un peu de riz, c’est assez culpabilisant de vouloir se faire resservir. Pour ce premier repas j’ai bien aimé le dessert, le seul d’ailleurs que j’ai aimé pendant mon séjour : une sorte de boisson laiteuse mixant céréales, épices, cajous. C’est peut-être ce qu’ils appellent l’Uttapam.
Ensuite j’ai attendu le signal pour me lever, et j’ai fait comme tout le monde, la queue la main pleine de jus collé en pince, pour se nettoyer…mais moi je ne crache pas, je ne râcle pas ma gorge, je ne rote pas et je ne pète pas. Ici comme partout en Inde, ça ne pose aucun problème, quand ça doit sortir, ça sort, même en pleine méditation : la classe.
Ensuite j’ai affronté pieds nus les toilettes à l’indienne, heureusement qu’il y avait aussi un baquet pour se laver les pieds…Finalement après,  on m’a donné la clé de ma chambre après m’avoir posé quelques questions sur mon travail à l’ashram de Pondi.  Dans ma salle de bain, pas de douche, juste deux petits robinets d’eau froide et pas de chasse d’eau. Là encore, c’est avec le seau qu’il faut y aller.

 Fini de jouer les occidentales,  je me mets en mode indienne sans louvoyer car je ne peux tout simplement pas. Sinon la chambre est grande, très propre, carrelage à l’ancienne, meubles en bois, étagères en dur. 

J’aime beaucoup ce lieu en fait et je suis dans un endroit reculé de la route, entourée de magnifiques arbres, de singes, de paons, de chats et de chiens.


 J’ai juste un homme qui dort sans cesse allongé devant ma porte, je pense que c’est le gardien. Tout va bien tant qu’il ne crache pas…mais il crache comme les autres trop souvent et ça a vraiment toujours un sale effet sur moi….ça me dégoûte complètement…
C'est comme un gros moustique que je ne dois pas écraser en sortant!
 
J’ai fait un tour de l’ashram et j’ai repéré la porte qui mène à la montagne ainsi qu’au circuit « sacré » qui l’entoure et que les pélerins empruntent les jours de pleine lune. J’ai demandé si là tout de même on pouvait mettre des chaussures et un travailleur m’a rassurée en me disant que même dans l’enceinte de l’ashram je pouvais les mettre sauf pour entrer dans les salles. Le bonheur retrouvé ! Finies les brûlures : je n’ai rien d’un fakir et aucun désir de le devenir. Je veux garder ma peau de bébé sous mes pieds et je ne veux pas avoir cette corne fissurée que je vois chez les indiens. 
Me voilà donc bien installée. C’est un lieu très calme malgré la proximité de la ville bruyante.  Cependant je suis un peu nauséeuse depuis le repas mais ça doit être la fatigue couplée à la chaleur.
Le programme des journées à l’ashram semble très dense même si au final il y a très peu d’actions : beaucoup de méditation, puja, mantra, nourriture aux pauvres, lectures des œuvres du Guru.
Pour ma part, la vraie détente je l’obtiens en me mêlant à tous ces singes qui bordent ma chambre. L’indien qui squatte par terre mon perron ne cesse de leur parler et tente parfois de les tenir à distance. Mais ils sont si mignons!

 J'ai décidé de partir faire quelques pas dans la montagne en attendant le thé…
Finalement j’ai dévié mon projet car je me suis arrêtée en chemin à la librairie de l’ashram. J’ai demandé à écouter quelques musiques qui étaient en vente et me suis décidé à acheter les hymnes d’Arunachala Stuti Panchakan que je trouve très beaux et pleins de vie.
Ensuite, comme j’avais très soif je suis allée m’acheter de l’eau en face de l’ashram dans un magasin d’alimentation biologique bien contente qu’il se trouve là. J’en ai profité pour acheter quelques figues sèches et des galettes de riz car demain matin je me lève à l’aube pour aller avec ma voisine espagnole faire le tour de la montagne avant qu’il ne fasse trop chaud.
Je suis très contente dès le premier jour d’avoir trouvé un compagnon de route qui en plus semble très sympathique. Devant nos portes on s’assoit en silence pour regarder les mamans singes et leurs drôles de bébés. 

Ce qui me fait le plus rire c’est lorsque la mère décide de changer de lieu pendant que le petit est en train de téter ou de jouer à ses côtés. Le petit arrive toujours au dernier instant à se raccrocher à une touffe de poils, un bout de queue, une mamelle libre pour attraper le train en marche. C’est tout un spectacle d’observer ces bébés grands comme un demi avant-bras, sans poils ou presque, les oreilles très décollées, tenter de retrouver une certaine stabilité. Je craque totalement…

Le temple intérieur de l’ashram est magnifique et les sculptures très finement ciselées. L’atmosphère est propice au calme. Les multiples petites bougies, les encens éclairent doucement les murs et sculptures couleur ébène. L’atmosphère est d’autant plus troublante que pendant que s’effectuent les gestes liturgiques, dans la pièce d’à côté, des adultes et des enfants psalmodient sans trêve des chants védiques pendant que les dévots tournent autour de l’autel avec un rythme soutenu, enchaînant les cercles pendant de longues minutes. D’autres préfèrent écouter en méditant, assis en tailleur. Je me suis mêlée aux marcheurs pour ressentir ce que cela faisait de marcher au son de ces mantras. Je n’ai pas compris pourquoi certains allaient si vite. J’ai préféré prendre la courbe extérieur et aller lentement. Au bout d’un moment j’ai saturé, ne ressentant finalement pas grand-chose sauf mes muscles et je suis allée m’assoir en tailleur dans un petit coin. J’ai vite repéré que d’un côté étaient les femmes, de l’autre les hommes. A un moment, les chants ont changé et les gens se sont levés. J’ai suivi le mouvement par respect mais me suite vite mise à l’écart lorsque j’ai vu tout le monde plonger la tête la première pour baiser le carrelage, les jambes tendues en arrière, un pied sur l’autre. Le sens m’a complètement échappé et je n’ai senti qu’une envie de quitter la pièce. Je suis donc allée près du Samadhi de Sri Ramana, sur le côté duquel est gravée dans le mur l’histoire de sa rencontre avec la mort lorsqu’il avait à peine 16 ans et qui a conduit à son changement de vie.
A côté de moi, une femme chantait doucement. Une cloche au son très profond s’est mise à sonner et j’ai bien cru dans ce clair-obscur avec les singes accrochés aux barreaux du temple à contre-jour comme essayant d’écouter les mantra, me mettre à pleurer. Mais à ce moment, un sadhu est venu vers moi. Je l’avais croisé une fois dans le jardin. Il était maigre comme un clou, avec une très longue barbe grisonnante en bataille, et un sac en bandoulière chargé de livres et de cahiers. Il me regardait avec de grands yeux très ronds et un large sourire. Impossible d’y résister et ma tristesse s’est immédiatement envolée. Il s’est mis à me parler en tamoul, puis en anglais et quand il a su que j’étais française, il s’est mis à me parler en français courant. J’imagine bien qu’il connaît aussi d’autres langues comme le sanskrit, l’hindi…. Il avait beaucoup d’humour et par la suite quand je suis allée écouter les pudjas que chantaient à présent la femme qui était à côté de nous quelques minutes auparavant, je l’ai vu agrippé au samadhi en train de claquer des doigts et de marteler le rythme, la main posée sur ses longs cheveux. Il me plaisait bien lui, et j’avais très envie de le connaître un peu plus mais je reste peu de temps avec tout de même l’intention de conserver au maximum le silence.
Avant le repas, j’ai décidé d’aller faire quelques pas dans la montagne par le petit passage. En arrivant, le gardien m’a dit quelque chose, je n’ai rien compris et je suis passée en hochant juste la tête. J’ai compris plus tard ce qu’il me disait car lorsque j’ai voulu revenir un peu apeurée de me retrouver seule face à une assemblée de singes d’une autre espèce qui s’amusaient  à s’assoir en me regardant nonchalamment  au milieu du chemin et de chiens hurlant à la mort à chaque fois que je faisais un pas….la porte étaient cadenassée ! 

J’ai dû donc faire le tour de l’ashram en sillonnant un peu au hasard à la tombée de la nuit, un quartier extrêmement pauvre au milieu de gens vivant dehors. J’ai caché ma peur et j’ai répondu aux différents signes. Une petite fille m’a un peu guidée pendant qu’elle allait chercher de l’eau avec sa jarre de couleur. C’était assez impressionnant de voir tous les détritus amoncelés dans le quartier mêlés aux bouses et pisses de vaches…et d’humains.
Je pensais pour ce jour en avoir terminé avec mes péripéties. Il a pourtant fallu que je me fasse aborder puis suivre jusqu’à ma chambre par un indien américain qui s’était même caché pour voir où j’allais entrer. Mais je l’ai aperçu et assez désagréablement je lui ai demandé ce qu’il faisait, en lui rappelant assez aigrement qu’on était quand même dans un ashram ! Comme il faisait nuit noire, j’ai eu quand même un peu peur par la suite et j’ai carrément mis mon canif ouvert dans mon sac à portée de main !En arrivant au dining-room un couple m’a abordée. Je leur ai dit ce que je venais de vivre et ils m’ont orientée vers le responsable. J’étais un peu gênée de lui dire mais apparemment c’est ce qu’il convient de faire dans ce lieu. J’ai donc été escortée par la suite par une indienne.
Concernant la nourriture, j’ai adoré. J’ai mangé sur des feuilles de bétel séchées et cousues avec de fines branches. C’était très joli. Seul le service pose problème car à chaque fois que l’on me sert la sauce de haut, je reçois des éclaboussures brûlantes. Pour le petit lait, j’en reçois autant sur la main que dans mon verre. Les sauces par contre sont aromatiques, épicées et variées. Je me suis laissée emportée par ma gourmandise en en redemandant un peu à leur second passage mais ce n’est pas souvent que j’ai eu l’occasion de découvrir de si bonnes préparations. ( fin du jour 1)

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