Tiruvannamalai
Levée à 6h pour partir à Tiruvannamalai à 120 km de
Pondichery. J’ai laissé ma valise à mon amie Equatorienne, Veronika, à la guest
house et n’ai emporté que deux trois habits et un livre dans mon sac à dos.
J’ai pensé à faire une photocopie du plan de la ville pour savoir m’orienter
dès mon arrivée.
C’est sans problème que j’ai pris le bus. Je connais
maintenant le prix des rickshaws pour me rendre à la station : entre 70 et
80 roupies. Je me repère bien sur place et il m’est aisé d’aller demander un
simple renseignement au bureau d’information. Il s’agit du même bus que pour
Gingee : le numéro 158 sur le quai numéro 7. Par chance, mon bus partait
juste 15 minutes après mon arrivée. J’ai été surprise car la dernière fois lorsque je l’ai pris, il était à 7h50 et l’on
m’avait assuré qu’il s’agissait du premier. Mais à l’heure où je tape ce texte,
je sais maintenant que lorsque l’on annonce qu’un bus part à 11H par exemple,
le départ peut très bien être à 10h30 si ça chante au conducteur. C’est ainsi
que pour le retour j’ai eu une chance extraordinaire de ne pas le rater !
Le bus est vraiment pourri mais ça vaut le coup de le
prendre. Pour le prix d’abord : 47 roupies pour 3 heures de bus comparées
aux 80 roupies de rickshaw pour deux kilomètres en ville, ça laisse
songeur !
Après il faut supporter la permanence d’un klaxon qui troue
les tympans, les multiples arrêts pour le ramassage scolaire, pour prendre les
gens qui vont faire leur marché et se rendent d’un village à l’autre. J’ai servi
d’oreiller à une vieille dame. Pas moyen de bouger un orteil, coincée entre la
fenêtre, mon sac et sa tête. A chaque arrêt des marchands vendant samosas,
snacks, fruits montent par l’avant et redescendent par l’arrière facilement
puisque depuis la dernière fois aucune porte n’a été montée ce qui permet aux
gens de sauter dans le bus en marche.
Un homme est monté avec un encensoir et il nous a tous
enfumés les uns après les autres en nous passant son espèce de plumeau sur la
tête et en demandant après quelques roupies. Tout le monde donnait alors j’ai
dû chercher mon porte-monnaie tombé au fond de mon sac et vue ma situation
j’étais bien empêtrée. Je lui ai donc fait signe de repasser au retour :
il n’a pas oublié !
Nous sommes arrivés juste après un accident de la route
mettant en cause une moto et une voiture qui a fini sa course dans le coin
d’une maison en paille. Rien d’étonnant vu l’art de conduire ici. Comme je l’ai
déjà écrit, ça passe ou ça casse et quand ça casse, ça fait très mal vu que les
motards n’ont jamais de casque et qu’aucune limitation de vitesse ne semble
exister.
Pendant le trajet j’ai été heureuse de repasser devant les
belles collines de Gingee. Cette fois le temps était plus gris mais cela
n’otait rien à leur force. A la sortie de cette petite ville, très vite se sont
dessinées les montagnes de Tiruvannamalai et plus précisément Arunachala, le
mont sacré. Je n’ai cessé de le regarder jusqu’à mon arrivée trois heures
après.
En arrivant le conducteur m’a renseignée très aimablement sur
les horaires du retour : il parlait un tamil-anglais mais on a pu quand
même se comprendre.
J’ai décidé de ne pas prendre un rickshaw pour voir si
j’étais capable de m’orienter seule avec la carte. J’ai beaucoup de plaisir à
trouver des repères sans l’aide des autres et ça me permet de découvrir de
nouveaux lieux autrement qu’à pleine vitesse. J’ai longé la montagne sur plus
de 3 kilomètres en prenant à gauche en sortant la station de bus.
C’est
toujours tout droit jusqu’au temple Arunchaleshvara qu’il faut ensuite
contourner par l’arrière. Il est majestueux, très haut et ce qui est amusant
c’est de voir les singes grimper sur les portes et s’amuser autour des
sculptures des divinités et de leurs montures. ( cherchez quelques singes!)
J’étais contente d’avoir peu de choses à porter pour une
fois. Comme je ne savais pas où j’allais manger et si autour de l’ashram il
allait y avoir la possibilité de faire quelques courses, j’ai acheté à de
petits marchands des goyaves et des mangues.
Très vite- au bout de trois quart d’heures quand même mais
je n’ai pas vu le temps passer- je suis arrivée devant la grande porte de
l’ashram de Sri Ramana Maharsi. J’étais vraiment fière de m’être débrouillée
seule sans rencontrer la moindre difficulté en route. Avant on passe devant un
autre ashram.
Le long de la route de nombreux saddhus tendent la main pour
quelques roupies et je saurai très vite que Tiruvannamalai est la ville où les
miséreux ont vite compris qu’il y avait matière à tenter la pitié…donc ne pas
rentrer dans ce « jeu » et bien savoir à qui on donne quand on le
fait et pourquoi on le fait.
Dans la cour, au milieu d’une végétation luxuriante, près d'un arbre au tronc magnifique j’ai
laissé mes chaussures au pied d’un escalier sculpté et j’ai vite repéré
l’office et le bureau du Président qui avait répondu à mon email imprimé que je
tenais fermement dans ma main.
Dans le bureau il n’y avait personne donc j’ai
appelé et une voix m’a invitée à m’asseoir et à attendre. A ce moment, en
bourrasque une femme est entrée en posant plein de sacs et m’a fait signe de la
suivre. Je ne savais pas qui elle était ni pourquoi elle semblait si pressée
que je la suive moi qui pensais arriver dans un lieu calme où le temps a moins
de prise. Un peu déconcertée mais pensant qu’elle allait me montrer ma chambre,
je l’ai suivie avec tous mes sacs. Seulement elle allait tellement vite que je
la perdais sans cesse de vue et je me suis retrouvée à traverser presqu’en
courant une grande salle où les gens étaient assis en train de méditer. Pas une
fois cette femme s’est retournée pour voir si je la suivais ou non. Le sol me
brûlait les pieds et à chaque fois qu’un bout de bois ou un gravillon me
rentrait dans la chair je réprimais un cri. En plus j’étais en proie à une
furieuse envie d’aller aux toilettes. En
fait, je me suis retrouvée dans le dining-room. Les portes allaient fermer ce
qui expliquait le sprint dans l’ashram. Tout ça pour manger ! Les portes
ont été fermées à clé derrière moi et plus moyen d’aller aux toilettes et de me
laver les mains. Le hall était immense et parsemé de feuilles de bananier et de
verres en métal posés sur le sol et les gens en file indienne s’asseyait au fur
et à mesure de leur arrivée devant la feuille. J’ai posé mes sacs dans un coin
et je me suis installée comme les autres. J’étais très mal à l’aise car ma
hanche me faisait très mal et je me voyais mal manger avec ma main droite
immonde sans pouvoir me plier vers l’avant, d’autant plus que j’avais la vessie
pleine ; Je voyais déjà la catastrophe arrivée. Toutes les mains gauches
étaient condamnées et cette fois je n’allais pas pouvoir tricher. Je voyais la
crasse de ma main avec laquelle j’ai dû en plus laver ma feuille de bananier,
mais bon fallait que j’assume la situation et c’est ce que j’ai fait. Des hommes avec des sauts passent les uns
après les autres, qui servant le riz, qui un peu d’huile à froid – c’est une
première depuis que je suis en Inde !-, qui une sauce, qui une autre,
qui de l’eau….Le problème avec la sauce
c’est qu’on te la sert à 60 cm d’altitude et quand ça arrive sur ta feuille tu
en prends une partie sur toi. Tout était brûlant et je me demandais comment ces
gens pouvaient se lancer avec leurs trois derniers doigts aussi vite dans cet
immense malaxage. Leurs mains sont comme leurs pieds, insensibles. Pas les
miennes ! Finalement j’ai compris l’intérêt des trois derniers doigts
puisque cela permet de pousser avec le pouce resté libre et j’ai réussi à
manger en tentant d’oublier l’idée de la saleté. C’est plus frugal qu’à
l’ashram de Pondichery mais surtout meilleur et plus équilibré. Et finalement
je saurai bien vite que l’on vient nous resservir si besoin. Mais quand à côté
de toi tu as quelqu’un qui ne prend qu’un peu de riz, c’est assez culpabilisant
de vouloir se faire resservir. Pour ce premier repas j’ai bien aimé le dessert,
le seul d’ailleurs que j’ai aimé pendant mon séjour : une sorte de boisson
laiteuse mixant céréales, épices, cajous. C’est peut-être ce qu’ils appellent
l’Uttapam.
Ensuite j’ai attendu le signal pour me lever, et j’ai fait
comme tout le monde, la queue la main pleine de jus collé en pince, pour se
nettoyer…mais moi je ne crache pas, je ne râcle pas ma gorge, je ne rote pas et
je ne pète pas. Ici comme partout en Inde, ça ne pose aucun problème, quand ça
doit sortir, ça sort, même en pleine méditation : la classe.
Ensuite j’ai affronté pieds nus les toilettes à l’indienne,
heureusement qu’il y avait aussi un baquet pour se laver les pieds…Finalement
après, on m’a donné la clé de ma chambre
après m’avoir posé quelques questions sur mon travail à l’ashram de Pondi. Dans ma salle de bain, pas de douche, juste
deux petits robinets d’eau froide et pas de chasse d’eau. Là encore, c’est avec
le seau qu’il faut y aller.
Fini de jouer les occidentales, je me mets en mode indienne sans louvoyer car
je ne peux tout simplement pas. Sinon la chambre est grande, très propre,
carrelage à l’ancienne, meubles en bois, étagères en dur.
J’aime beaucoup ce
lieu en fait et je suis dans un endroit reculé de la route, entourée de
magnifiques arbres, de singes, de paons, de chats et de chiens.
J’ai juste un
homme qui dort sans cesse allongé devant ma porte, je pense que c’est le
gardien. Tout va bien tant qu’il ne crache pas…mais il crache comme les autres
trop souvent et ça a vraiment toujours un sale effet sur moi….ça me dégoûte
complètement…
C'est comme un gros moustique que je ne dois pas écraser en sortant!
J’ai fait un tour de l’ashram et j’ai repéré la porte qui
mène à la montagne ainsi qu’au circuit « sacré » qui l’entoure et que
les pélerins empruntent les jours de pleine lune. J’ai demandé si là tout de
même on pouvait mettre des chaussures et un travailleur m’a rassurée en me
disant que même dans l’enceinte de l’ashram je pouvais les mettre sauf pour
entrer dans les salles. Le bonheur retrouvé ! Finies les brûlures :
je n’ai rien d’un fakir et aucun désir de le devenir. Je veux garder ma peau de
bébé sous mes pieds et je ne veux pas avoir cette corne fissurée que je vois
chez les indiens.
Me voilà donc bien installée. C’est un lieu très calme malgré
la proximité de la ville bruyante.
Cependant je suis un peu nauséeuse depuis le repas mais ça doit être la
fatigue couplée à la chaleur.
Le programme des journées à l’ashram semble très dense même
si au final il y a très peu d’actions : beaucoup de méditation, puja,
mantra, nourriture aux pauvres, lectures des œuvres du Guru.
Pour ma part, la vraie détente je l’obtiens en me mêlant à
tous ces singes qui bordent ma chambre. L’indien qui squatte par terre mon
perron ne cesse de leur parler et tente parfois de les tenir à distance. Mais ils sont si mignons!
J'ai décidé de partir faire quelques pas dans la montagne en attendant le thé…
Finalement j’ai dévié mon projet car je me suis arrêtée en
chemin à la librairie de l’ashram. J’ai demandé à écouter quelques musiques qui
étaient en vente et me suis décidé à acheter les hymnes d’Arunachala Stuti
Panchakan que je trouve très beaux et pleins de vie.
Ensuite, comme j’avais très soif je suis allée m’acheter de
l’eau en face de l’ashram dans un magasin d’alimentation biologique bien
contente qu’il se trouve là. J’en ai profité pour acheter quelques figues
sèches et des galettes de riz car demain matin je me lève à l’aube pour aller
avec ma voisine espagnole faire le tour de la montagne avant qu’il ne fasse
trop chaud.
Je suis très contente dès le premier jour d’avoir trouvé un
compagnon de route qui en plus semble très sympathique. Devant nos portes on s’assoit
en silence pour regarder les mamans singes et leurs drôles de bébés.
Ce qui me
fait le plus rire c’est lorsque la mère décide de changer de lieu pendant que
le petit est en train de téter ou de jouer à ses côtés. Le petit arrive
toujours au dernier instant à se raccrocher à une touffe de poils, un bout de
queue, une mamelle libre pour attraper le train en marche. C’est tout un
spectacle d’observer ces bébés grands comme un demi avant-bras, sans poils ou
presque, les oreilles très décollées, tenter de retrouver une certaine
stabilité. Je craque totalement…
Le temple intérieur de l’ashram est magnifique et les
sculptures très finement ciselées. L’atmosphère est propice au calme. Les
multiples petites bougies, les encens éclairent doucement les murs et
sculptures couleur ébène. L’atmosphère est d’autant plus troublante que pendant
que s’effectuent les gestes liturgiques, dans la pièce d’à côté, des adultes et
des enfants psalmodient sans trêve des chants védiques pendant que les dévots
tournent autour de l’autel avec un rythme soutenu, enchaînant les cercles
pendant de longues minutes. D’autres préfèrent écouter en méditant, assis en
tailleur. Je me suis mêlée aux marcheurs pour ressentir ce que cela faisait de
marcher au son de ces mantras. Je n’ai pas compris pourquoi certains allaient
si vite. J’ai préféré prendre la courbe extérieur et aller lentement. Au bout d’un
moment j’ai saturé, ne ressentant finalement pas grand-chose sauf mes muscles
et je suis allée m’assoir en tailleur dans un petit coin. J’ai vite repéré que
d’un côté étaient les femmes, de l’autre les hommes. A un moment, les chants
ont changé et les gens se sont levés. J’ai suivi le mouvement par respect mais
me suite vite mise à l’écart lorsque j’ai vu tout le monde plonger la tête la
première pour baiser le carrelage, les jambes tendues en arrière, un pied sur l’autre.
Le sens m’a complètement échappé et je n’ai senti qu’une envie de quitter la
pièce. Je suis donc allée près du Samadhi de Sri Ramana, sur le côté duquel est
gravée dans le mur l’histoire de sa rencontre avec la mort lorsqu’il avait à
peine 16 ans et qui a conduit à son changement de vie.
A côté de moi, une femme chantait doucement. Une cloche au
son très profond s’est mise à sonner et j’ai bien cru dans ce clair-obscur avec
les singes accrochés aux barreaux du temple à contre-jour comme essayant d’écouter
les mantra, me mettre à pleurer. Mais à ce moment, un sadhu est venu vers moi.
Je l’avais croisé une fois dans le jardin. Il était maigre comme un clou, avec
une très longue barbe grisonnante en bataille, et un sac en bandoulière chargé
de livres et de cahiers. Il me regardait avec de grands yeux très ronds et un
large sourire. Impossible d’y résister et ma tristesse s’est immédiatement
envolée. Il s’est mis à me parler en tamoul, puis en anglais et quand il a su
que j’étais française, il s’est mis à me parler en français courant. J’imagine
bien qu’il connaît aussi d’autres langues comme le sanskrit, l’hindi…. Il avait
beaucoup d’humour et par la suite quand je suis allée écouter les pudjas que
chantaient à présent la femme qui était à côté de nous quelques minutes auparavant,
je l’ai vu agrippé au samadhi en train de claquer des doigts et de marteler le
rythme, la main posée sur ses longs cheveux. Il me plaisait bien lui, et j’avais
très envie de le connaître un peu plus mais je reste peu de temps avec tout de
même l’intention de conserver au maximum le silence.
Avant le repas, j’ai décidé d’aller faire quelques pas dans
la montagne par le petit passage. En arrivant, le gardien m’a dit quelque
chose, je n’ai rien compris et je suis passée en hochant juste la tête. J’ai
compris plus tard ce qu’il me disait car lorsque j’ai voulu revenir un peu
apeurée de me retrouver seule face à une assemblée de singes d’une autre espèce
qui s’amusaient à s’assoir en me regardant
nonchalamment au milieu du chemin et de
chiens hurlant à la mort à chaque fois que je faisais un pas….la porte étaient
cadenassée !
J’ai dû donc faire le tour de l’ashram en sillonnant un peu
au hasard à la tombée de la nuit, un quartier extrêmement pauvre au milieu de
gens vivant dehors. J’ai caché ma peur et j’ai répondu aux différents signes.
Une petite fille m’a un peu guidée pendant qu’elle allait chercher de l’eau
avec sa jarre de couleur. C’était assez impressionnant de voir tous les
détritus amoncelés dans le quartier mêlés aux bouses et pisses de vaches…et d’humains.
Je pensais pour ce jour en avoir terminé avec mes
péripéties. Il a pourtant fallu que je me fasse aborder puis suivre jusqu’à ma
chambre par un indien américain qui s’était même caché pour voir où j’allais
entrer. Mais je l’ai aperçu et assez désagréablement je lui ai demandé ce qu’il
faisait, en lui rappelant assez aigrement qu’on était quand même dans un ashram !
Comme il faisait nuit noire, j’ai eu quand même un peu peur par la suite et j’ai
carrément mis mon canif ouvert dans mon sac à portée de main !En arrivant
au dining-room un couple m’a abordée. Je leur ai dit ce que je venais de vivre
et ils m’ont orientée vers le responsable. J’étais un peu gênée de lui dire
mais apparemment c’est ce qu’il convient de faire dans ce lieu. J’ai donc été
escortée par la suite par une indienne.
Concernant la nourriture, j’ai adoré. J’ai mangé sur des
feuilles de bétel séchées et cousues avec de fines branches. C’était très joli.
Seul le service pose problème car à chaque fois que l’on me sert la sauce de
haut, je reçois des éclaboussures brûlantes. Pour le petit lait, j’en reçois
autant sur la main que dans mon verre. Les sauces par contre sont aromatiques,
épicées et variées. Je me suis laissée emportée par ma gourmandise en en
redemandant un peu à leur second passage mais ce n’est pas souvent que j’ai eu
l’occasion de découvrir de si bonnes préparations. ( fin du jour 1)
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