J’habite cette chambre
rattachée à l’ashram à laquelle ce nom a été donné, et cette chambre
m’habite…La méditation et mes heures de lecture quotidienne de « Beyond
man » de Georges Van Vrekhem relatant la vie et l’œuvre de Sri Aurobindo
et de la Mère couplées à mes éternelles interrogations et réflexions pour
tenter de comprendre et de me sortir de ces « reflux chroniques » de
« life in the darkness » ont
finalement œuvré aujourd’hui. Première journée où je sors la tête de l’eau
depuis mon retour de l’Ashram de Tiruvannamalai où j’ai totalement glissé d’un
monde à l’autre comme sur un toboggan géant au moment où je commençais à
toucher de mon être une source dont la luminosité me demeurait jusque-là
invisible. C’est comme si à chaque fois que j’atteignais l’instant où pourrait
avoir lieu la clôture définitive du double monde souterrain qui m’habite et me
noircit l’âme depuis des années, une force ou plutôt des forces me saisissaient
violemment par les chevilles et m’engloutissaient dans les bas-fonds,
m’obligeant à me complaire dans des conduites shivaïennes…Je dis bien complaire
car je suis si impuissante dans ces moments-là, que la seule ressource à défaut
de source, qu’il me reste, c’est de n’en garder que les bons côtés, ceux qui me
permettent d’écrire mes visions, images de ces raptus dévastateurs du corps et
de l’âme et d’avoir accès à chaque fois à de nouvelles lectures qui restent les
seules trames auxquelles je peux me raccrocher et tenter un ressaisissement
funambulesque qui bien souvent achoppe et me laisse à l’orée de la mort pendant
des mois…Je n’exagère pas.
Mais voici, de nouvelles explications maintenant surgissent,
car je vois bien que c’est souvent au comble d’un sentiment complet de
plénitude, de joie et d’espoir et surtout de déchiffrage d’un monde nouveau qui
commence à entrouvrir ses portes que la « catastrophe » revient. Je
me sens souvent dépossédée de moi-même, et peut-être serait-ce plus juste de
dire que je me sens possédée par d’autres…forces ….
J’ai enfin un nom, ou des noms à leur donner : les
Asouras, les quatre seigneurs des forces
hostiles, déchus de leur trône de Lumière, Vérité, Vie et Félicité pour
avoir voulu chacun être le Seigneur de tous, rompant ainsi l’Unité primordiale
qui dépendait de leur harmonie. Ils ont donc lors de leur chute été sanctionnés
et portent depuis les Noms respectifs de
Ténèbre, Mensonge, Souffrance et Mort…Ils sont venus depuis hanter les sphères
du mental et du vital supérieur chez l’homme. Ils s’opposent totalement à
l’accès de l’homme à un monde supérieur, plus Conscient et vrai que celui qui pose
tant de limites tant il est voilé par l’ignorance. Pourquoi ? Parce que
l’accès à cette hauteur supposerait leur disparition. Ils n’œuvrent pas seuls
et ceux qui viennent meurtrir notre et en tout cas mon vital inférieur sont
nommés les Rakshasas : ce que j’ai toujours nommés sans les connaître
comme étant à l’image d’ogres ou de cannibales me bouffant littéralement de
l’intérieur et m’obligeant moi-même à dévorer le monde par peur du manque ou à m’auto-
dévorer en miroir comestible de ce monde qui me fait si peur, faisant au final de
toute chair un amas putride à éliminer de toute urgence. Or, sans ce vital,
même inférieur, aucun accès aux mondes dits supérieurs n’est possible. C’est
toute l’originalité de ce yoga intégral de Sri Aurobindo dont la visée n’est
pas l’abandon du physique mais bien la capacité à le réintégrer avec la source
divine et unifiante une fois qu’elle aura été trouvée et assimilée…( ce qui
suppose un long travail sur soi dépassant le simple niveau d’une psychologie
appliquée au seul mental…) . J’ai peut-être droit aux facéties des Pishachas
qui entraînent les hommes à maugréer contre leur vie en permanence et à y
trouver toujours quelque chose qui cloche…Là , je me sens moins envahie par ces
derniers car je me sens bien plus attaquée depuis mes années d’introspection
par les deux premiers. Pouvoir les nommer , les comprendre à défaut de les voir
me rassure et me donne aussi une
explication qui semble correspondre maintenant exactement à mes ressentis dans
des moments de « presque contact » avec ce que je nomme maintenant
aussi le « Divin » ( sans Dieu)- moments qui s’effaçaient à l’instant
où mon cœur et mon regard se portaient sur eux. Ça me rappelle mes cours de
littérature sur Walter Benjamin à propos de la photographie…
Bref, comme nous le rappelle Sri Aurobindo à propos de ces
êtres :
« Ils étendent leur règne à tous les mondes à moitié
conscients.
Ici-bas aussi ces dieux en petit actionnent nos cœurs
humains,
La pénombre de notre nature est la cachette où ils sont
tapis. » ( Savitri).
Ce que j’aime et me ce qui me rassure surtout dans ma
compréhension, c’est que je lis exactement ce que j’avais écrit sous une autre forme
concernant le rôle important et presque nécessaire de ce brassage de vermines
qui grouillent en soi. Sans la tête dans la bouche d’ombre, je n’aurais pas eu cette
introspection, cette connaissance grandissante en moi d’un autre monde plus
vrai- me faisant à juste titre m’éloigner du monde faux dans lequel je ne
trouve/trouvais pas ma place à jouer un rôle qui n’était pas le mien… J’ai eu
accès en contrepartie de ma souffrance et de mon enfermement à ces innombrables
images et phrases issues de mes morcellements de chair, d’os et d’être que j’ai
tenté d’associer justement en puzzle…Etrangement, ces phrases avaient valeur de
bougies, souvent de candélabres en moi, et c’est de cette lumière issu du choc
de mes pages noircies et de mes os polis et transis que je trouvais la force
d’aller voir ailleurs si une autre explication ne pouvait pas suppléer à celles
défaillantes mises à l’épreuve sur mon grand échiquier appelé
« désespoir ». J’ai rencontré beaucoup de résistance et ne trouvais
jamais un être vivant capable d’être à la hauteur de ce que je tentais
d’exprimer, comme si finalement, je devais m’en remettre à du… « plus
qu’humain » ou « autre chose qu’un humain »…
Ainsi, La Mère a écrit : « Dans le monde occulte,
ou plutôt si l’on regarde du point de vue occulte, ces forces adverses sont
très réelles, leur action est très réelle, tout à fait concrète, et leur
attitude vis-à-vis de la réalisation divine est positivement hostile, mais dès
qu’on dépasse ce domaine et qu’on entre dans le monde spirituel où il n’y a
plus que le Divin, qui est toute chose, et où il n’y a rien qui ne soit divin,
alors « ces forces adverses » deviennent une partie du jeu total et
on ne peut plus les appeler les forces adverses : c’est seulement une attitude qu’elles ont prise : pour
dire plus exactement, c’est seulement une attitude que le Divin à prise dans
son jeu. » Très drôle comme jeu pour ce dernier peut-être mais pas
forcément pour celui qui en bave ici-bas…Mais finalement, c’est ça l’attitude
de l’humain qui rampe autour des Samadhi, accepter sa souffrance, stigmatiser
dans son attitude la notion d’humilité. Mais surtout s’en remettre à cet avatar
habitant un corps-chaussette qui a accepté de suivre l’incarnation du Divin et
a permis par ses mots, ses réponses, ses comportements pendant son temps de vie sur terre, et d’ouvrir un chemin de Lumière et de félicité
mais sans en évincer les tortures par lesquelles il semble obligatoire que
certains passent, parfois élus et bientôt illustres à leur tour quand il s’agit
de personnes qui auront aussi des traces explicatives à laisser aux
suivants, parfois uniquement cobayes et
artistes de la souffrance sans aucune
possibilité de changement. Ce sont alors
les spectateurs « éclairés » si je puis dire qui sauront prendre en
charge le cheminement de l’effet à la cause du gâchis humain auxquels hélas ils
assistent avec impuissance.
Bref, je suis rassurée de comprendre que mon sentiment de
morcellement n’est qu’un résidu de la vibration primordiale qui a entraîné la
fissure puis l’explosion d’un monde idéalement unifié. Merci mon Dieu, me voilà
à comprendre que je ne suis pas si folle et que peut-être que je devrais aller
chercher un coup de main chez mon voisin sans plus avoir peur de lui, en
comprenant que comme l’enfant que je n’ai pas et n’aurai jamais, cet être est
aussi la chair de ma chair et que s’il me venait à l’esprit de vouloir méditer
avec l’immeuble tout entier, nous aurions à nous tous certainement plus de
forces pour lutter contre nos démons personnels qui « s’éclatent » à
leur manière, prenant à l’envie la forme qui leur convient. Les miens
s’appellent Boulimie et Anorexie, il faudrait peut-être que je regarde comme ça
s’appelle en Sanskrit car peut-être que je pourrais m’inventer un mantra à chanter dans ma
cuisine et dans mes toilettes jusqu’à ce que la lumière en moi soit si forte
que mes démons n’aient pas d’autre destin que de finir comme de la lessive en
paillettes qui une fois qu’il n’y a plus rien à récurer passe dans les
oubliettes et …fini les problèmes récurrents, je serai nettoyée de tout cela,
prête à grimper quelques marches de plus pour avoir enfin le pouvoir de pousser
cette porte sans qu’elle ne se referme sur mes doigts ou sur mon nez
m’obligeant à me mettre en mode fusion avec la boule de Sisyphe ( la lourde…)
et à dévaler à nouveau ma montagne d’emmerdes pourtant si sacrée si je continue
à croire que c’est « un fait exprès » pour que je devienne en
permanence nyctalope. Ça j’apprends aussi à le devenir en Inde mais c’est une
autre histoire…mais peut-être pas tant que ça si j’y songe…
« L’expérience s’enfonce dans le subconscient – ( Sri
Aurobindo préfère ce mot à Inconscient car il n’est pas si inconscient que ça
et je suis plutôt d’accord…) non pas
comme une expérience mais comme des impressions d’expérience, obscures, mais
obstinées, et peut surgir tout moment
sous forme de rêves, de répétitions mécaniques d’ancienne pensée, sentiment,
acte, etc., sous forme de « complexes » explosant en action et en
événement, etc…Le subconscient est la cause principale du fait que toutes
choses se répètent et que rien ne change jamais sinon dans les apparences. Il
est la cause du fait que, comme on dit, le caractère ne peut pas être changé et
également du constant retour des choses dont on espérait être débarrassé.
Toutes les semences sont là ( je rajoute, moi Coralie pour
en revenir à la notion de boule, surtout
quand on a bien les boules…) et toutes les samskaras du mental, du vital et du
corps,- il est le principal support de la Mort et de la Maladie et la dernière
forteresse apparemment imprenable de l’Ignorance. Tout ce qui est refoulé sans
qu’on s’en soit totalement débarrassé s’enfonce là et reste en semence prêt à
jaillir ou à bourgeonner à tout moment. »
Cela étant dit, il est très tard, je pensais raconter comment j’ai passé une super journée à l’orphelinat depuis
cet éclairage nouveau qui apparaît parce que j’ai réussi à dépasser le niveau
de la brasse coulée et à reprendre un peu d’oxygène en me shootant à coup de
Pranayama et de persévérance, mais les mots m’ont encore échappé- et donc je terminerai cet écrit avec un poème
de Sri Aurobindo cité dans le livre « Beyond Man », où l’on peut se
rassurer en pensant que les élus ne sont pas non plus épargnés- pensée sincère
pour Jésus- et qu’ils ont dû aussi transcender
des instants longs et violents où une profonde détresse et perte de
soi ont été vécu en solitaire mais dont
les aiguillons ont été finement analysé pour en comprendre la cristallisation
sous-jacente.
Trêve de cynisme, l’arme du dévoyé, et écoutons à mesure de
la lecture la résonance en soi que peut procurer ce poème intitulé « Le
labeur d’un Dieu. » et là encore je retrouve mes références orphiques si
nécessaires me semble-t-il à la rencontre avec ce monde où le symbole n’aura plus
qu’à disparaître puisqu’il n’y aura plus rien à réunir…ais le jour n'est pas venu où les voyants n'auront plus à revenir sur terre raconter ce qu'ils ont vu et compris: on a le temps de lire encore de
bons poètes, rassurons-nous !
Mes blessures béantes sont un millier et une,
Les rois titanesques m’assaillent,
Mais je ne peux pas m’arrêter tant que ma tâche n’est pas faite
Et que n’est accompli le vouloir éternel…
Une voix s’écria, « Va où nul n’est allé !
Creuse plus profond, encore plus profond
Jusqu’à ce que tu aies atteint l’affreuse pierre de fondation
Et frappé à la porte que n’ouvre aucune clé. »
J’ai pu voir qu’un mensonge était planté profond
A la racine même des choses,
Là où le Sphinx gris garde le sommeil-énigme de Dieu
Sur les ailes largement déployées du Dragon.
J’ai abandonné les dieux de surface du mental
Et de la vie les océans insatisfaits,
Et plongé à travers les impasses du corps
Vers les mystères inférieurs.
J’ai fouillé dans le cœur terrible de la Terre taciturne
Et entendu la cloche de sa messe noire.
J’ai vu la source d’où partent ses angoisses
Et j’ai vu la raison intérieure de l’enfer.
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