dimanche 5 août 2012






J’habite cette chambre  rattachée à l’ashram à laquelle ce nom a été donné, et cette chambre m’habite…La méditation et mes heures de lecture quotidienne de « Beyond man » de Georges Van Vrekhem relatant la vie et l’œuvre de Sri Aurobindo et de la Mère couplées à mes éternelles interrogations et réflexions pour tenter de comprendre et de me sortir de ces « reflux chroniques » de « life in the darkness »  ont finalement œuvré aujourd’hui. Première journée où je sors la tête de l’eau depuis mon retour de l’Ashram de Tiruvannamalai où j’ai totalement glissé d’un monde à l’autre comme sur un toboggan géant au moment où je commençais à toucher de mon être une source dont la luminosité me demeurait jusque-là invisible. C’est comme si à chaque fois que j’atteignais l’instant où pourrait avoir lieu la clôture définitive du double monde souterrain qui m’habite et me noircit l’âme depuis des années, une force ou plutôt des forces me saisissaient violemment par les chevilles et m’engloutissaient dans les bas-fonds, m’obligeant à me complaire dans des conduites shivaïennes…Je dis bien complaire car je suis si impuissante dans ces moments-là, que la seule ressource à défaut de source, qu’il me reste, c’est de n’en garder que les bons côtés, ceux qui me permettent d’écrire mes visions, images de ces raptus dévastateurs du corps et de l’âme et d’avoir accès à chaque fois à de nouvelles lectures qui restent les seules trames auxquelles je peux me raccrocher et tenter un ressaisissement funambulesque qui bien souvent achoppe et me laisse à l’orée de la mort pendant des mois…Je n’exagère pas.
Mais voici, de nouvelles explications maintenant surgissent, car je vois bien que c’est souvent au comble d’un sentiment complet de plénitude, de joie et d’espoir et surtout de déchiffrage d’un monde nouveau qui commence à entrouvrir ses portes que la « catastrophe » revient. Je me sens souvent dépossédée de moi-même, et peut-être serait-ce plus juste de dire que je me sens possédée par d’autres…forces ….
J’ai enfin un nom, ou des noms à leur donner : les Asouras, les quatre seigneurs des forces  hostiles, déchus de leur trône de Lumière, Vérité, Vie et Félicité pour avoir voulu chacun être le Seigneur de tous, rompant ainsi l’Unité primordiale qui dépendait de leur harmonie. Ils ont donc lors de leur chute été sanctionnés et portent depuis  les Noms respectifs de Ténèbre, Mensonge, Souffrance et Mort…Ils sont venus depuis hanter les sphères du mental et du vital supérieur chez l’homme. Ils s’opposent totalement à l’accès de l’homme à un monde supérieur, plus Conscient et vrai que celui qui pose tant de limites tant il est voilé par l’ignorance. Pourquoi ? Parce que l’accès à cette hauteur supposerait leur disparition. Ils n’œuvrent pas seuls et ceux qui viennent meurtrir notre et en tout cas mon vital inférieur sont nommés les Rakshasas : ce que j’ai toujours nommés sans les connaître comme étant à l’image d’ogres ou de cannibales me bouffant littéralement de l’intérieur et m’obligeant moi-même à dévorer le monde par peur du manque ou à m’auto- dévorer en miroir comestible de ce monde qui me fait si peur, faisant au final de toute chair un amas putride à éliminer de toute urgence. Or, sans ce vital, même inférieur, aucun accès aux mondes dits supérieurs n’est possible. C’est toute l’originalité de ce yoga intégral de Sri Aurobindo dont la visée n’est pas l’abandon du physique mais bien la capacité à le réintégrer avec la source divine et unifiante une fois qu’elle aura été trouvée et assimilée…( ce qui suppose un long travail sur soi dépassant le simple niveau d’une psychologie appliquée au seul mental…) . J’ai peut-être droit aux facéties des Pishachas qui entraînent les hommes à maugréer contre leur vie en permanence et à y trouver toujours quelque chose qui cloche…Là , je me sens moins envahie par ces derniers car je me sens bien plus attaquée depuis mes années d’introspection par les deux premiers. Pouvoir les nommer , les comprendre à défaut de les voir  me rassure et me donne aussi une explication qui semble correspondre maintenant exactement à mes ressentis dans des moments de « presque contact » avec ce que je nomme maintenant aussi le « Divin » ( sans Dieu)- moments qui s’effaçaient à l’instant où mon cœur et mon regard se portaient sur eux. Ça me rappelle mes cours de littérature sur Walter Benjamin à propos de la photographie…
Bref, comme nous le rappelle Sri Aurobindo à propos de ces êtres :

«  Ils étendent leur règne à tous les mondes à moitié conscients.
Ici-bas aussi ces dieux en petit actionnent nos cœurs humains,
La pénombre de notre nature est la cachette où ils sont tapis. » ( Savitri).

Ce que j’aime et me ce qui me rassure surtout dans ma compréhension, c’est que je lis exactement ce que j’avais écrit sous une autre forme concernant le rôle important et presque nécessaire de ce brassage de vermines qui grouillent en soi. Sans la tête dans la bouche d’ombre, je n’aurais pas eu cette introspection, cette connaissance grandissante en moi d’un autre monde plus vrai- me faisant à juste titre m’éloigner du monde faux dans lequel je ne trouve/trouvais pas ma place à jouer un rôle qui n’était pas le mien… J’ai eu accès en contrepartie de ma souffrance et de mon enfermement à ces innombrables images et phrases issues de mes morcellements de chair, d’os et d’être que j’ai tenté d’associer justement en puzzle…Etrangement, ces phrases avaient valeur de bougies, souvent de candélabres en moi, et c’est de cette lumière issu du choc de mes pages noircies et de mes os polis et transis que je trouvais la force d’aller voir ailleurs si une autre explication ne pouvait pas suppléer à celles défaillantes mises à l’épreuve sur mon grand échiquier appelé « désespoir ». J’ai rencontré beaucoup de résistance et ne trouvais jamais un être vivant capable d’être à la hauteur de ce que je tentais d’exprimer, comme si finalement, je devais m’en remettre à du… « plus qu’humain » ou «  autre chose qu’un humain »…
Ainsi, La Mère a écrit : «  Dans le monde occulte, ou plutôt si l’on regarde du point de vue occulte, ces forces adverses sont très réelles, leur action est très réelle, tout à fait concrète, et leur attitude vis-à-vis de la réalisation divine est positivement hostile, mais dès qu’on dépasse ce domaine et qu’on entre dans le monde spirituel où il n’y a plus que le Divin, qui est toute chose, et où il n’y a rien qui ne soit divin, alors « ces forces adverses » deviennent une partie du jeu total et on ne peut plus les appeler les forces adverses : c’est seulement  une attitude qu’elles ont prise : pour dire plus exactement, c’est seulement une attitude que le Divin à prise dans son jeu. » Très drôle comme jeu pour ce dernier peut-être mais pas forcément pour celui qui en bave ici-bas…Mais finalement, c’est ça l’attitude de l’humain qui rampe autour des Samadhi, accepter sa souffrance, stigmatiser dans son attitude la notion d’humilité. Mais surtout s’en remettre à cet avatar habitant un corps-chaussette qui a accepté de suivre l’incarnation du Divin et a permis par ses mots, ses réponses, ses comportements  pendant son temps de vie sur terre, et  d’ouvrir un chemin de Lumière et de félicité mais sans en évincer les tortures par lesquelles il semble obligatoire que certains passent, parfois élus et bientôt illustres à leur tour quand il s’agit de personnes qui auront aussi des traces explicatives à laisser aux suivants,  parfois uniquement cobayes et artistes de la souffrance  sans aucune possibilité de changement.  Ce sont alors les spectateurs « éclairés » si je puis dire qui sauront prendre en charge le cheminement de l’effet à la cause du gâchis humain auxquels hélas ils assistent avec impuissance.
Bref, je suis rassurée de comprendre que mon sentiment de morcellement n’est qu’un résidu de la vibration primordiale qui a entraîné la fissure puis l’explosion d’un monde idéalement unifié. Merci mon Dieu, me voilà à comprendre que je ne suis pas si folle et que peut-être que je devrais aller chercher un coup de main chez mon voisin sans plus avoir peur de lui, en comprenant que comme l’enfant que je n’ai pas et n’aurai jamais, cet être est aussi la chair de ma chair et que s’il me venait à l’esprit de vouloir méditer avec l’immeuble tout entier, nous aurions à nous tous certainement plus de forces pour lutter contre nos démons personnels qui « s’éclatent » à leur manière, prenant à l’envie la forme qui leur convient. Les miens s’appellent Boulimie et Anorexie, il faudrait peut-être que je regarde comme ça s’appelle en Sanskrit car peut-être que je pourrais  m’inventer un mantra à chanter dans ma cuisine et dans mes toilettes jusqu’à ce que la lumière en moi soit si forte que mes démons n’aient pas d’autre destin que de finir comme de la lessive en paillettes qui une fois qu’il n’y a plus rien à récurer passe dans les oubliettes et …fini les problèmes récurrents, je serai nettoyée de tout cela, prête à grimper quelques marches de plus pour avoir enfin le pouvoir de pousser cette porte sans qu’elle ne se referme sur mes doigts ou sur mon nez m’obligeant à me mettre en mode fusion avec la boule de Sisyphe ( la lourde…) et à dévaler à nouveau ma montagne d’emmerdes pourtant si sacrée si je continue à croire que c’est « un fait exprès » pour que je devienne en permanence nyctalope. Ça j’apprends aussi à le devenir en Inde mais c’est une autre histoire…mais peut-être pas tant que ça si j’y songe…
« L’expérience s’enfonce dans le subconscient – ( Sri Aurobindo préfère ce mot à Inconscient car il n’est pas si inconscient que ça et je suis plutôt d’accord…)  non pas comme une expérience mais comme des impressions d’expérience, obscures, mais obstinées, et peut surgir  tout moment sous forme de rêves, de répétitions mécaniques d’ancienne pensée, sentiment, acte, etc., sous forme de « complexes » explosant en action et en événement, etc…Le subconscient est la cause principale du fait que toutes choses se répètent et que rien ne change jamais sinon dans les apparences. Il est la cause du fait que, comme on dit, le caractère ne peut pas être changé et également du constant retour des choses dont on espérait être débarrassé.
Toutes les semences sont là ( je rajoute, moi Coralie pour en revenir  à la notion de boule, surtout quand on a bien les boules…) et toutes les samskaras du mental, du vital et du corps,- il est le principal support de la Mort et de la Maladie et la dernière forteresse apparemment imprenable de l’Ignorance. Tout ce qui est refoulé sans qu’on s’en soit totalement débarrassé s’enfonce là et reste en semence prêt à jaillir ou à bourgeonner à tout moment. »
Cela étant dit, il est très tard,  je pensais raconter comment  j’ai passé une super journée à l’orphelinat depuis cet éclairage nouveau qui apparaît parce que j’ai réussi à dépasser le niveau de la brasse coulée et à reprendre un peu d’oxygène en me shootant à coup de Pranayama et de persévérance, mais les mots m’ont encore échappé-  et donc je terminerai cet écrit avec un poème de Sri Aurobindo cité dans le livre « Beyond Man », où l’on peut se rassurer en pensant que les élus ne sont pas non plus épargnés- pensée sincère pour Jésus- et qu’ils ont dû aussi transcender  des instants longs et violents où une profonde détresse et perte de soi  ont été vécu en solitaire mais dont les aiguillons ont été finement analysé pour en comprendre la cristallisation sous-jacente.
Trêve de cynisme, l’arme du dévoyé, et écoutons à mesure de la lecture la résonance en soi que peut procurer ce poème intitulé «  Le labeur d’un Dieu. » et là encore je retrouve mes références orphiques si nécessaires me semble-t-il à la rencontre avec ce monde où le symbole n’aura plus qu’à disparaître puisqu’il n’y aura plus rien à réunir…ais le jour n'est pas venu où les voyants n'auront plus à revenir sur terre raconter ce qu'ils ont vu et compris: on a le temps de lire encore de bons poètes, rassurons-nous ! 

Mes blessures béantes sont un millier et une,
Les rois titanesques m’assaillent,
Mais je ne peux pas m’arrêter tant que ma tâche n’est pas faite
Et que n’est accompli le vouloir éternel…
Une voix s’écria, «  Va où nul n’est allé !
Creuse plus profond, encore plus profond
Jusqu’à ce que tu aies atteint l’affreuse pierre de fondation
Et frappé à la porte que n’ouvre aucune clé. »
J’ai pu voir qu’un mensonge était planté profond
A la racine même des choses,
Là où le Sphinx gris garde le sommeil-énigme de Dieu
Sur les ailes largement déployées du Dragon.
J’ai abandonné les dieux de surface du mental
Et de la vie les océans insatisfaits,
Et plongé à travers les impasses du corps
Vers les mystères inférieurs.
J’ai fouillé dans le cœur terrible de la Terre taciturne
Et entendu la cloche de sa messe noire.
J’ai vu la source d’où partent ses angoisses
Et j’ai vu la raison intérieure de l’enfer. 

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