lundi 30 juillet 2012
Jour 3 Tiruvannamalai
Nuit de combat contre les moustiques. Oubli de soi et
fatigue qui s’explique. J’accepte et j’embraie la nouvelle journée en cycle qui
redémarre sans pour autant raturer la veille en cache-misère. Prudente, juste.
Mais ouverte et souriante.
Après le petit déjeuner constitué de 4 idlis, de sauce
sambar et d’un espèce d’agregat de rapadura que j’ai juste eu le temps de
repousser avant que la louche ne s’abatte sur le reste. Ici les mélanges ne
posent pas problème mais pour ma part, j’exècre les mélanges sucrés-salées et
ce qui est trop sucré tout simplement.
On nous sert aussi un café au lait horriblement sucré ce qui
est surprenant pour un ashram. J’ai vu que certains demandaient juste du lait.
Je le ferai demain tout en sachant que les laitages sont vraiment à éviter,
mais je n’ai aucune protéine depuis plus de deux mois et j’ai tout de même
besoin d’un peu de forces.
J’ai écouté deux ou trois chants
védiques et me suis installée devant la
petite porte qui mène aux caves (lieux de retraites construits dans les roches), dans l’espoir de
trouver un ou deux compagnons de route puisqu’il est indiqué aux femmes de ne
pas circuler seules. Mais au moment où cet avertissement commençait à me peser,
j’ai croisé une femme occidentale qui descendait de la montagne seule. Elle m’a
dit que je pouvais y aller en solo. J’ai donc
abandonné l’idée de partager ma matinée et je suis partie à l’aventure.
J’ai senti un vent de liberté couler dans mes veines. Quelques centaines de
mètres plus haut- on a beaucoup de mal ici à souffrir de solitude !- un
indien blessé à la cheville me demande de le suivre pour me montrer un lieu de
méditation. Je n’avais pas vraiment la tête à cela mais pour ne pas l’offenser,
je l’ai suivi.
J’ai eu droit à un protocole complet entre les icônes et statuettes :
boule de ghee enflammée, encens à faire tournoyer autour de soi, poudre sur le
front. Nous étions très tranquilles et cela m’a finalement un peu apaisée.
N’ayant pas de monnaie sur moi, je lui ai signalé sa blessure qui commençait à
s’infecter et je lui ai appliqué du tegarome, un mélange d’huiles essentielles
et j’ai enroulé autour un bout de tissu que j’ai trouvé dans un coin du petit
temple. Il a semblé très content.
Je suis repartie vers les
hauteurs en zigzaguant entre les singes. Le vent léger, plus frais m’a revigorée même si je restais encore un
peu dans la brume. J’avais encore en moi les éclats de mon poème fracturé de la
veille plantés comme des becs de rapace dans mon estomac et mon cœur. L’après
bataille est souvent silencieuse mais douloureuse pour le corps physique.
Cependant, plus je m’élevais, plus les animaux, les rayons du soleil
intermittents entre les fleurs et les feuillages, la vue sur la vallée
effaçaient les stigmates.
Le temple avec ses quatre entrées
est tout simplement magnifique.
Je me suis posée quelques longues minutes sur
un rocher le surplombant. J’ai fait quelques exercices de pranayama. Brise,
douceur du soleil loin de toute pollution…une belle détente !
Skandashram cave est très
accueillante. Entre rochers et arbres, bâtie en dur, peinte, elle offre une
salle de méditation pour les pèlerins et une très jolie salle de lecture.
Je
fuis les salles trop sombres, surtout pour méditer et surtout quand c’est
bondé. La vue d’une dizaine de personnes collées les uns contre les autres en
tailleur, les yeux fermés dans la pénombre, a le don de m’angoisser. J’ai
préféré donc lire adossée au mur blanc face à la nature, quelques lettres de
Sri Ramana Maharshi sur la santé et le suicide.
C’est sûr ce n’est pas très
gai, mais c’est toujours intéressant de lire ce qui peut apporter un nouvel
éclairage par rapport à d’autres lectures…bon là, je n’ai pas appris
grand-chose sauf que ses mots sont très positifs. Maintenant, rien ne peut
empêcher ces instants d’ombre et de violence qui m’échappent et certainement
échappent à d’autres humains. Chacun vit la recherche du soi ou plus justement
la rencontre du soi avec plus ou moins de réceptivité et de sensibilité et me
concernant, il n’y a que la mise en place de certains symptômes ou rituels
pourrais-je dire maintenant, qui m’empêchent de sombrer. Ce que j’apprécie chez
ce gourou, c’est qu’il explique clairement qu’aucun guru justement ne permet de
donner ce que l’on doit trouver par soi-même. Une voie est proposée, mais à
chacun de chercher et trouver son « path » ou chemin. La voie offre
un ensemble d’outils je pense, plus ou moins puissants pour se recentrer ou se
décentrer selon la nécessité du moment. Cela agit comme un mandala qu’on
choisit de commencer par le centre ou par l’extérieur en fonction de son état
intérieur. Après, je trouve l’addiction à la dévotion plutôt néfaste pour la
connaissance de soi et des autres. Je pense que c’est aussi un symptôme de
perte de repères mais comme il est partagé, ça rassure bien plus que lorsque
l’on se fait un petit rituel à sa manière. Je ne pense pas à terme que ça soit
moins dangereux pour l’équilibre personnel…On s’en remet à l’Autre, aux autres,
aux pseudo-forces sensées venir nous enrober, nous pénétrer mais je ne suis pas
certaine que cela donne un éclairage plus réel sur ce que l’on est. Nos sens
nous trompent peut-être ainsi que nos sensations mais ce qui vient de
l’extérieur pour ma part, risque encore plus de nous induire en erreur. Je n’ai pour ma part pas besoin de penser que
le divin doit s’incarner dans un autre homme pour qu’il soit pensable : la
nature suffit. Encore faut-il savoir regarder autour de soi mais à force
d’entendre que ce qui est extérieur ne permet pas de se connaître, on crée des
électrons libres qui se croient reliés les uns aux autres juste par quelques
rituels et saupoudrages de couleur. Ça
peut apaiser, réduire des peurs, je veux bien le concevoir et le respecter mais
plus je le vis, plus je freine et pourtant « dieu sait » si j’ai
essayé d’être réceptive…Cela m’a juste permis d’aiguiser mon esprit critique et
de renforcer ma conviction que ce n’est pas dans ce qui est créé par l’homme
que l’on trouvera l’énergie vitale.
Pour les natifs ça ne me choque
pas, ça me choque plus de voir les dévots occidentaux se vautrer sur le sol
comme les autres et faire des grands cercles d’excités autour du samadhi. La
plupart restent modérés et s’en tiennent à des signes de respect et de menus
rituels. Malgré tout , il est important de commencer à lire ce que les
gurus ont fait en particulier pour donner leur éclairage du monde, de la vie
car certains sont vraiment respectables par les actes concrets qu’ils ont faits
et qui ont permis justement à beaucoup de gens d’avoir moins le nez dans le
guidon d’une vie qui s’emballe… Concernant le divin, j’y crois évidemment car
il suffit de se pencher sur des êtres tels que Leonard de Vinci, Victor Hugo,
d’autres très grands penseurs et artistes, scientifiques qui ont traversé les
siècles pour croire à quelques élus…je pense juste qu’ils étaient plus
réceptifs que d’autres et ont su explorer les partis de leur être en accord
avec leur époque, leur environnement, le temps qui les précédait…Je suis super
confuse là, écrasée par la chaleur et la fatigue mais je n’ai aussi tout
simplement pas les mots pour exprimer ce que je ressens et ne va pas à
l’encontre du divin. C’est juste souvent la forme qu’on lui donne et le poids
que l’on pose sur ce mot qui me gêne.
Concernant la connaissance du
Soi, il faut se mettre d’accord sur ce qu’est ce Soi, et Sri Ramana, l’exprime
plutôt bien et d’autant mieux que le plan spirituel n’est pas évincé comme il
l’est bien trop souvent dans le monde occidental. Le spirituel est bien souvent
relié au religieux et à des rites communautaires ce qui est souvent le cas encore partout dans
le monde. Très flagrant en Inde mais lorsque ça aide à supporter une vie bien
souvent difficile moi je dis : continuez et en plus beaucoup de rites
éveillent de troublantes sensations
-mais sont-elles plus porteuses de vérité ? je ne sais pas… et
c’est là où le bât blesse pour moi. Je ne vais pas maintenant rentrer dans les
détails de ce qui fait souvent encore nœud pour moi. En tout cas, Jung s’est
référé à ce guru et c’est toujours intéressant de comprendre les sources
d’inspiration de ceux qui ont su théoriser des schèmes de comportements,
pensées et qui ont contribué à définir ce qui se joue souvent de façon très
confuse dans la pensée et le ressenti de l’homme qui arrive souvent avec une
souffrance à soutenir pour qu’il ne sombre pas avant d’avoir vécu son temps…Je ne
crois pas aux autres vies non plus, je crois par contre que chaque être vivant
laisse une énergie et une mémoire qui
débordent sur ceux qui l’ont entouré et que certaines vies sont déterminées par
la vie d’ancêtres, de croyances, mais pas par une réincarnation…on peut le
croire quand la personne ou l’être a justement une certaine capacité appelée
« don » à lire l’illisible, à sentir, percevoir, accueillir ce qui
reste dans l’invisible tout simplement parce que ça n’a pas encore ou plus la
forme que tout le monde pourrait sentir et identifier. Le « soi »
pour moi a peut-être une forme prédéfinie, idéale, mais le tempérament, le mode
de vie, l’altèrent, le modèlent, le rendent changeant et c’est totalement
humain que de percevoir son « je » comme imparfait et souvent confus.
Vouloir balancer dans la poubelle l’ego, le « je », je trouve ça
totalement absurde et inhumain justement. Pourquoi vouloir ressembler à une
chose immobile que quelques quidam jugeraient parfaite, à l’image du
divin ? Qu’en sait-on de cette image du divin ? pas grand-chose et
c’est normal puisqu’il n’a pas d’image : c’est une force, point. Elle peut
après prendre une forme jugée horrible ou splendide, éblouissante ou non…ce qui
est EST, on est d’accord…et ce qui n’est pas encore, EST tout autant et là on
n’est pas tous d’accord mais l’énergie y est.
La hiérarchie n’est nulle part : il y a juste des différences et un
principe de respect que souvent il n’y a pas alors on tente de l’instituer pour
que ça roule. C’est le regard que l’on porte sur les choses et les non-choses
qui doit être épuré, pas le « je » ou le « corps » ou je ne
sais quoi encore qui font partis de notre réalité…à nous de savoir après s’il y
a « accord d’être » ou non…
Concernant la vie belle, idéale,
heureuse quand on a rencontré le divin en soi, je doute encore. Ça va si les
conditions sont réunies, mais il faut aussi ouvrir les yeux sur l’extérieur
sinon on devient un aveugle heureux… la vie passe à côté de soi… Sri Ramana
explique comment on peut être conscient de ce qui ne va pas autour mais
explique aussi pourquoi ça n ‘implique pas forcément d’être en souffrance dans
l’observance de cette réalité. Ok, rien de nouveau sous les tropiques…juste des
mots à respecter puisqu’ils sont justes.
Pour ma part je pense que l’on ne
peut être heureux que si l’on a conscience que parfois on ne doit pas l’être
toujours, que les moments de sérénité ne sont perçus que par opposition avec
ceux qui le sont moins. Le comprendre n’aide pas forcément à être plus serein
quand on ne l’est pas, ça aide à surmonter le moment et à ne pas s’y abîmer et
c’est ce qui rend courageux l’homme et persévérant surtout. Et là, je rejoins
les écris de Mother de l’ashram de Sri Aurobindo mais ici encore, je n’ai pas
appris grand-chose concernant ces concepts.
La connaissance de soi passe par
la nécessaire perte de soi. On ne connaît bien une ville souvent aussi parce
qu’on se perd dans ses circonvolutions et que l’on découvre ce qui n’était pas
indiqué sur une carte faite par quelqu’un d’autre. A chacun de connaître et de
trouver ses outils d’investigation : une méthode proposée reste une
proposition, on peut la mettre en acte mais rien ne dit que c’est cette méthode
qui a permis à un quidam de se connaître qui va permettre à plein d’autres de
mieux se connaître. Excepté peut-être le yoga intégral développé par Sri
Aurobindo qui s’écarte totalement des asanas conventionnels et se travaille
dans la vie quotidienne : pour ma part c’est une psychanalyse continue qui
doit déboucher sur des actes de vie : là le yoga intégral me plaît bien
car tout y est, de l’analyse à la pratique, du tumulte à la paix, du sport à
l’école en passant par l’art et l’écoute de la Nature…Par contre là où je reste
dubitative c’est sur la pratique qu’en font certaines personnes qui est vraiment
approximative malgré le fait qu’elles déclarent le pratiquer au
quotidien : elles restent désagréables, médisantes et n’aident pas à ce
qu’on adhère à ce qui semble les tuer plutôt que les animer…Problématique
humaine…la contradiction incarnée et c’est bien ça qu’il faut aussi accepter
pour mieux tolérer… Le modèle ne peut être un autre humain…les écrits oui, tant
qu’ils restent une source d’inspiration en œuvre ouverte…
Retour à ma montagne, je souris
de la profusion de ces pensées qui veillent à ne pas me laisser trop longtemps l'âme en paix! Je repars donc avec l'Unique, celle en qui je voue un véritable culte sans cérémonie: Dame Nature et sa Nudité qui ne me choque pas, elle...
Je reprends mon bâton de pèlerin
et je rejoins Virupaksha cave en descendant cette fois vers le temple. Cette
cave est plus petite. L’entrée est une petite pièce colorée avec quelques
photos du guru et salle de méditation est attenante, toujours remplis de
personnes qui semblent se shooter à cette technique ! Respect…mais parfois
c’est un peu trop de méditer 6 heures par jour non ?
Je suis restée assise quelques
minutes sur le muret blanc à regarder les arbres aux ramages sublimes et à
écouter le chant des oiseaux et j’ai décidé de remonter et de m’aventurer seule
plus haut, vers le sommet de la montagne ou le Guru avait élu sa plus belle
retraite : je le comprends !
Malheureusement dès le début, il
s’avère que le chemin est très dangereux, sans aucune prise pour les
mains, glissant, difficilement reconnaissable avec des flèches plus ou moins
effacées. La chaleur est plombante vers les 11h, et je n’ai presque plus d’eau : je
deviens une kamikase.
Mais je suis vite rejointe par un
indien qui me fera office de guide sans un mot. Il m’a souri, m’a pris la main
et fait signe de le suivre. Tout d’un coup la vie est devenue plus facile et
très agréable : mes peurs se sont plus ou moins envolées et j’ai suivi les
petits pieds nus agiles sur le roc en faisant bien attention de ne pas glisser.
Mais le guide connait par cœur le moindre petit caillou. Par contre, ne sachant
pas au début que ça en était un, je n’étais pas sûre de savoir redescendre par
moi-même et la vue du vide en dessous réactivait un peu mes démons. Sa main
était ferme et me demandait de me laisser à la confiance. J’ai juste dit que je
ne voulais pas aller au-delà de la moitié du chemin par manque d’eau et par
surcroît de chaleur. Me laisser porter a été pour moi extrêmement symbolique
surtout que cet indien je ne l’ai pas cherché, il est venu à moi pour m’aider
juste au moment où j’avais formulé l’envie même seule d’aller voir un peu plus
haut combien la montagne était belle et la vue sur le monde élargie…
Pour me faire reposer, il m’a
menée à une petit grotte cachée dans l’anfractuosité d’un gros roc et il m’a
encore conseillé de méditer pendant que lui restait assis quelques mètres plus
loin en plein soleil. Je me suis dit qu’on voulait ici vraiment me pousser à
méditer et du coup, j’ai obtempéré en souriant et…ça a marché ! Le lieu à
l’écart des autres et du monde me convenait totalement, avec une large brise,
quelques roses abandonnées séchées autour de moi et un silence parfait !
J’ai demandé après à redescendre
et il m’a tenu la main pendant presque toute la descente en m’indiquant parfois
quelques branches à saisir dans les moments un peu plus délicats. Je lui ai
donné 10 roupies en partant parce que j’estimais même si je n’avais rien demandé,
que sans lui je n’aurais rien fait, et que si j’avais su que je pouvais prendre
un guide aussi sympa pour ce prix, je l’aurais pris immédiatement. J’ai passé
un merveilleux moment avec lui et ma journée en est restée remplie.
De retour au temple, après le
repas, je suis repartie dans mon étude approfondie des singes avec leurs
mimiques extra et leurs acrobaties hilarantes : parfois je me dis qu’ils
savent qu’on les regarde, ce n’est pas possible autrement !
J’adore passer
du temps avec les animaux. Le soir, une grosse pluie s’est déclenchée et un
chien est venu s’abriter sous mon bungalow. Je suis sortie et me suis assise à
côté de lui : il s’est serré contre moi et nous avons passé trente bonne
minutes en silence, lui me tendant sa petite tête et ses grands yeux pour que
je lui gratte le front. Ça a été un doux moment : pluie, fraîcheur, odeur
de terre sèche, luminosité, silence…
Quelques heures avant, une petite
chatte à laquelle j’avais donné un peu de lait un soir et qui était venue dans
ma chambre, m’a reconnue dans les allées de l’ashram et en miaulant, n’a cessé
de me suivre ce qui a débouché aussi sur des moments câlins.
Sri Ramana a beaucoup écrit sur
les animaux et un samadhi leur est aussi destiné dans l’ashram. Tous les jours,
un sadhu donne à manger aux paons qui ponctuent de leurs
« Léon ! » les mantra.
Je n’ai pas trop profité du
temple comme j’avais pensé le faire le dernier jour car j’y suis allée avant
15h et c’est le moment de la sieste : j’ai donc juste pu apprécier de
faire le trajet en être « recollé » avec juste un frêle fêle juste
suffisant pour éclaire la misère, la poussière et les vaches décolleuses
d’affiches et en faire un nouveau petit poème. J’ai arpenté la grande cour
d’Arunchaleshvara en me brûlant encore les pieds et en serrant les multiples
mains qui se tendaient vers moi comme si j’étais une déesse : c’est
d’ailleurs assez étrange dans certains lieux de voir que les gens nous prennent
pour ce que l’on n’est pas…on m’a tendu de la poudre blanche, il a fallu que je
serre les mains de plusieurs bébés…mais j’ai quand même trouvé quelques
instants privilégiés pour apprécier quelques fines sculptures sur les façades.
Au retour, bien fatiguée, je me
suis arrêtée pour acheter quelques colliers à des marchands dans la rue :
rien de bien extraordinaire, mais j’étais contente d’échanger quelques mots et
regards avec ces personnes…
J’ai un peu mieux dormi cette
dernière nuit et j’ai eu la bonne idée le matin de prendre un rickshaw pour
prendre mon bus de 11h alors que j’avais prévu de faire le trajet à
pieds : arrivée à 10h20, j’ai à peine eu le temps de demander où se
trouvait mon bus, de faire le tour de la station, de grimper…que le bus est
parti une demi-heure à l’avance !
Encore un signe de…
Ça s’appelle avoir de bonnes
ondes…
Faire le tour de la montagne n’a pas été pour moi aussi
agréable que ce que je prévoyais. Disons qu’une partie de mon énergie et de mon
plaisir ont été phagocytés par le fait qu’au lieu de deux, nous nous sommes
retrouvées à cinq. Dès le départ il a fallu attendre l’un qui n’avait pas d’eau,
s’arrêter pour un autre, marcher moins vite…. Le problème était surtout centré
sur une suisse qui semblait faire la course avec un escargot et surtout nous a
fait longuement attendre à un petit temple car elle semblait attendre la
descente du divin en elle…pas évident de partager des temps communs quand l’un
veut méditer pendant que l’autre veut marcher…mais bon, finalement, on a pris
tous le pli et on a su s’adapter les uns aux autres et je pense que mon
ressenti était partagé du coup tout le monde a fait un effort et c’est
peut-être cela l’essentiel de cet instant. J’imagine bien quand il y a 100
pélerins sous la pleine lune qu’il faut trouver un pas qui permette à chacun de
suivre le groupe. Encore un apprentissage pour moi.
Nous avons marché presque 4
heures avec quelques temps d’arrêts pour prendre des photos, boire, manger
quelques gâteaux pour les unes, fruits secs pour les autres. Je pensais que nous allions avoir quelques
moments de grimpette mais non, le tour est presque sans dénivelés et la
beauté est à ressentir dans la puissance des pierres , leurs dispositions en
ligne, en rond, en équilibre, aléatoires et naturelles, leurs inscriptions, les
petits temples disséminés ici et là, l’odeur des petites fleurs plus diaphanes
les unes que les autres, les chants des oiseaux…et surtout le sommet du mont à
observer à 360° avec ses clair-obscur en fonction de l’exposition au soleil.
Les sentiers s’ouvrent quelquefois sur des clairières offrant
de petites étendues d’eau dans lesquelles quelques sâdhus prennent leur bain et
finissent de sécher en méditant…
Parfois cependant, derrière un arbre on en
apercevait un en train de méditer dans une immobilité totale et qui semblait
être là depuis des siècles, les cheveux très longs, gris, le corps dénutri…Nous
passions notre chemin en approfondissant notre silence, comme si finalement ces
instantanés nous rappelaient la
particularité du lieu et l'enjeu de cette marche.
Il est vrai que depuis
des semaines, pratiquant l’initiation au yoga intégral à l’ashram de Sri
Aurobindo, je dois sans cesse lutter contre mes pensées souvent dominées par un
mental bien trop agité et critique à mon goût. Heureusement, j’apprends à
tempérer et à mettre ces pensées de plus en plus souvent de côté mais lorsque
je le fais un peu par force en tentant d’appeler à l’aide mon esprit que je
juge (peut-être à tort) défaillant, ça revient un peu en bourrasque peu de
temps après. Du coup je préfère juste faire preuve de vigilance mais accepter
ce qui me vient dans les tripes et dans la tête en me disant que ce sont aussi
ces émotions qui me permettent après de chercher l’essentiel et ce qui est à
retenir. Parce que si je dois à chaque fois faire table rase de ce qui se joue dans ma tête, c’est comme si après j’essayais
de faire un puzzle en ayant jeté les pièces au fur et à mesure que la couleur
ou la forme ne me plaisait pas. Ou l’homme est total, ou il ne l’est pas, mais
je ne vois pas en quoi l’appel du divin et/ou de l’esprit devrait écraser les
autres parties et le mental et le corps en particulier. Ne doit-on pas au
contraire penser que tout est dans tout et c'est bien souvent la fragilité assumée au milieu de la force qui aide à se respecter...
La force c’est surtout une question d’équilibre mais avant tout
une question de bien-être dans un environnement particulier il me semble. Parce
que si je dois m’amputer de ce qui m’a fait vivre jusqu’à présent juste parce
que je comprends que j’ai un peu tout mis dans la même balance, je risque en
enlevant trop d’un coup de vivre l’effet catapulte et de ne pas du tout savoir
gérer le peu d’une nouveauté que je ne sens pas vraiment actuellement même si
j’aimerais évidemment m’en sentir plus investie . Mais chacun son rythme
et surtout sa voie si je m’en réfère au Tao qui me semble plus compatible avec
ce en quoi je crois- en ce moment.
La montagne est quand
même simple et belle, sa végétation l’adoucit et invite vraiment à la
contemplation comme une caresse du regard.
Comme partout en Inde c’est le changement brutal de sons,
d’odeurs qui crée la rupture et nous fait descendre de notre petit nuage où
tout est harmonieux à l’image de la divinité et blablabla, les pieds glissent
sur des détritus puants, on entend les klaxons à tire larigot, les
arrière-cours donnant sur le bas de la montagne servent de toilette, le tour
parfait est bien imparfait et moi je dis : c’est ça la réalité, faite de
merde et de beauté, comme ce qui se joue à l’intérieur de nous et si on ne
l’accepte pas, c’est sûr que l’on peut aller méditer 24h sur 24 pour ne rien en
voir et ne rien en savoir, et penser dépasser ce qui est en nettoyant le tout à
coup de mantras…mais ce qui est EST, et le divin est aussi alors dans la bouse
de vache à éviter…et parfois personnellement, l’idée du divin me rend aussi
très mal à l’aise parce qu’il sonne faux à mes oreilles quand je le vois
investi par une bande de dévots qui passent leur journée à tirer la tronche et
à te regarder de travers dès que tu sors un peu du rang en remettant un peu en
question leur base inébranlable. Le divin est aussi dans leurs crachats, leurs
rots et leurs pets qu’ils te balancent à
la tête sans se soucier le moins du monde de la présence de l’autre, puisque ce
qui compte c’est qu’en soi, est le divin et que le reste, on s’en tape.
La montagne ne m’a pas endormie comme on peut le constater
et au contraire, plus je me tais, plus je pense, et plus je pense plus je vois
les nœuds de ce qui fait que le monde est monde comme une immense pelote qu’il
ne vaut mieux pas toujours tenter de dénouer afin de ne pas toucher le magma
d’enfer qui brûle et vocifère en son centre.
Cela dit, si l’on prend le devant de ce quartier en oubliant
l’arrière-boutique, tout devient beau et coloré. La montagne, les temples, les
maisons tamuls violettes, vertes, oranges, roses, les jarres bigarrées en
plastique entassées devant les fontaines, le linge qui claque pour être lavé
dans un lavoir en pierre blanche, les enfants qui sourient de leurs belles
dents blanches et font tourner des roues avec un bâton comme nos
grands-parents, les vaches qui allaitent leurs petits veaux, les mains qui se
lèvent en faisant tinter les bracelets qui brillent en même tant qu’un «
Hi ! » annonce un beau sourire en attendant une réponse de notre
part, nous, touristes privilégiés à la recherche du sacré : il est là, le
sacré, autant que dans la montagne.
Retour en emportant dans sa tête les klaxons de la ville.
Comment chasser le bruit ? C’est aussi difficile que les mots et je n’avais
qu’une envie, plonger sur mon lit et me reposer un peu à la recherche d’un vrai
silence, celui où personne ne peut me voir, celui où je n’ai rien à prouver à
personne sauf à moi-même, et là, j’étais fatiguée et je me sentais très
bizarre, comme si faire le tour de la montagne m’avait lancée comme une toupie
sans savoir où et quand j’allais m’arrêter. J’avais un peu le tournis à ce
moment et c’est un petit somme de dix minutes avant le repas -mais après avoir
avalé une papaye entière achetée sur le bord de la route- qui aurait dû me faire
du bien….mais…autre chose avait décidé de s'éveiller en moi...
Me voici encore assise dans le dining-room près de
l’allemande qui parle tout le temps et commente ce qu’il y a dans les
assiettes : silence c’est écrit, mais apparemment en allemand ça ne doit
pas vouloir dire cela, ni en américain d’ailleurs. Et là, j’ai détesté
l’horrible sauce pleine de crème que l’on m’a jetée sur mon riz. Du coup j’ai
redemandé du riz pour assécher le tout, ce qui m’a fait beaucoup trop manger.
C’était sans compter sur la sauce d’après, très épicée que l’on a resservie
avec du riz et vu que j’étais frustrée par le goût, j’en ai pris alors qu’en
général les occidentaux préfèrent ce qui est doux et sucré dixit
l’allemande en louchant sur ma feuille de bananier. Bien moi, je ne suis pas comme toi et si tu ne
veux pas recevoir mon butter milk dans le nez, commence par t’occuper de tes
doigts de pieds qui grignotent mon espace et s’avancent outrageusement vers mon
riz. Il y a de l’ambiance à l’ashram ! J’en ris en recopiant mon texte car
c’est vrai que je me suis fait à plusieurs reprises de sacrés soliloques qui
avec le recul pourraient faire office de sous-titrage dans un film comique et
muet. Comique ou…tragi-comique…
J’ai tenté de dissiper la vague qui commençait à monter en
moi en allant un peu méditer dans l'entrée du temple, dos au samadhi, encore
face aux écritures. J’ai tenu une vingtaine de minutes sans bouger ni ouvrir
les yeux grâce à ma fatigue puis je me suis installée assise sur le petit
chemin qui contourne le temple avec mon livre sur le Tao. J’ai eu du mal à me
concentrer vu le nombre de singes qui sont venus m’observer presque à vouloir
tourner mes pages.
Un ashramite s’est approché avec son habit orange et s’est
assis près de moi. Il a décidé de me protéger- un sens aigu de la lecture
intérieure ?- en me faisant tous les gestes rituels sur la tête et en me
poudrant le front de blanc et de rouge…Evidemment, il a fini par me demander
une pièce et je lui ai fait comprendre que moi et les roupies ça faisait deux
et qu’ici je ne me trimballais pas avec mon porte-monnaie coincé entre les pages
de mon livre . Il avait de l’humour, tant mieux pour lui, et il est
reparti. La poudre a vite attiré des
centaines de moucherons qui tentaient de suicider dans mes yeux alors j’ai filé
en m’agitant comme un singe me protéger dans ma chambre. Evidemment, l’indien
avait encore pris ses quartiers devant ma porte et il avait avec lui un copain
et la loi du silence là encore était bien transgressée…craché à deux, c'est plus sympa!
Visiblement je ne semblais pas très sereine, et c’est exact.
J’étais très frustrée de ne pas pouvoir aller marcher seule et décompresser de
la présence des autres dans la montagne. C’est surtout le risque d’agression
qui prime et franchement, ça ne m’aide pas à apprécier les hommes en général.
Diogène avec sa lanterne parmi les
hommes clamait : « je cherche un homme. » Moi j’éteins ma
lanterne et je dis : « je ne veux plus en voir aucun. »
Cling, bang, parfois quand on sent en soi l’éclatement, il
vaut mieux tenter de rassembler les morceaux avant qu’ils n’aillent trop loin…passage au gris.
La fracture c’est ça. C’est quand le monde sur lequel tu
marches s’effondre.
C’est la nuit et le brouillard.
Le plein qui s’accélère pour tenter l’approche du vide.
Nuit et brouillard. Toupie sans groupe électrogène devient
balle de flipper.
Sortir vite à la recherche d’une pitance, de cette anse qui
ne tient plus rien. Franchir des portes sacrées et s’enliser dans le tumulte du
monde.
Déregarder les pauvres, démisérer la misère, déruisseler ses
larmes, claquemurer ses pores, hermétique à tout et à tous.
Fermer les oreilles et déklaxonner en se défrôlant des
camions qui veulent ta mort mais ta mort t’appartient à toi seule.
Marcher à tout prix et au prix que ça coûte ici autant en
profiter. Tout ça en épinglant les larmes comme des papillons crevés, le cou
cloué à la pointe des épaules, orbites à la recherche de l’urgence du gouffre
et de l’engouffrement qui s’en suivra. Echec et dématte ces hommes qui
t’appellent en te reluquant : c’est pas le moment.
Puis l’angoisse de ne rien trouver…que la misère et les
gamelles vides, les petits étalages parfaitement organisés avec le minimum,
quand toi, rongée par la divine vermine, tu cherches le maximum pour
t’anesthésier.
Branlante, passagère du monde, à l’est comme à l’ouest ,
peut-être plus à vif ici quand il s’agit de survivre.
Aucune bordure en soi, comme ces rues dangereuses sans trottoirs,
comme ces rues où les trottoirs sont des tas d’ordures… L’ordure faire la
bordure, je suis bien une fille de l’est complètement à l’ouest.
Ne pas aller trop loin dans l’entre deux monde quand le cœur
et le ventre se trouent, quand le corps ne sait plus à qui il appartient et
avance tout seul comme un grand, pied gauche pied droit, de toute façon si t’as
pas de sol, tu ne sentiras pas le « la » : force de la démesure.
Aucune rambarde pour
s’appuyer, aucune chasse d’eau pour effacer, fuir les regards qui
déchiffrent ton mal comme une langue morte qui n’a pas de mystère pour les
initiés et revenir en urgence se cacher derrière sa moustiquaire. A la volée,
volets rabattus.
Chercher ce qui reste en consistance…à engouffrer. Croquer
en transe ses galettes de riz, rompre son unique banane à coup d’incisives,
combattre le manque sous les yeux débonnaires d’un guru en slip en train de
juger que tu fais fausse route…
Même pas vrai, j’avale tout droit même si dans
ma tête c’est un vrai dédale. Je dois tout faire à l’indienne et jongler avec
me seaux là où ça manque cruellement d’eau. « Don’t waste the food and
don’t waste water ! » J’enverrai ma fracture…toujours aucun bord,
juste le sol si bas qu’il ressemble à un sommet : j’ai le vertige.
C’est ça : un en-cas de vertige.
Le temps reprend son espace. S’enrouler dans un châle en
perte de soi, en cachure de corps gaché et se raccrocher au rythme de
l’ashram : c’est l’heure du thé.
Lieu miracle, diaboliquement beau avec ses colonnes
soutenantes en vieux bois peint en bleu, vert, rouge. Offrande d’un thé brûlant
que l’on enrubanne d’un verre à l’autre pour l’entortiller de froid : ça
me donne le mal de mer de regarder ces autres qui font valser le thé. Je
préfère la brûlure du thé immobile et le souffle qui attise et n’apaise rien.
Se taire. Coller le silence entre moi et l’autre ; devenir l’intouchable
et l’inabordable. Chants qui se répètent à l’infini. Répondre à l’appel.
S’assoir et se laisser saisir par la scansion ininterrompue des mantras a
capella. S’en faire une boulimie, en cherchant une satiété qui devrait venir et
ne vient pas…bien au contraire, et c’est normal puisqu’il est question
d’infini…
Ça commence par envahir la tête et peu à peu le corps se
fige, s’efface. Il devient mantra jusqu’au bout des doigts minute après minute
puis c’est mon sang qui circule, ma vie qui s’égrène telle un chapelet :
ne pas casser le fil, ne plus avoir à courir après les perles…
Soudain les pensées rebondissent : elles étaient juste
aller faire un petit somme….ma vie c’est quoi, c’est où, c’est pour qui, c’est
pour quoi, et mon passé j’en fais quoi…encore une fois ? Le temps se remet
en ligne tel un rail qui brûle à force de se râper dessus. Comment aller en
avant sans lâcher du passé, sans culpabiliser, sans penser ? Mes forces
m’abandonnent mais je n’ai toujours pas la force d’abandonner. Le temps en miroir, je tente de le briser et
de me raccrocher aux mantras qui hurlent de plus en plus fort dans mon crâne.
Ils sont extraordinaires ces chanteurs qui ne s’épuisent jamais : qui leur
donne ce souffle ? Comment peuvent-ils tenir aussi longtemps, ça n’a plus
rien d’humain…et pourtant il n’y a pas une coupure, pas une énergie qui tombe,
pas un sourire qui ne cesse, pas un corps qui semble craquer…pendant que moi je
suis en train de m’asphyxier avec rien et tout, trop de sons, d’images, de
pensées, de mots, de silence, de bruit…trop est trop. Le cadenas des larmes
saute, je tends les pupilles en trou pour les rattraper mais ça coule malgré
tout, toujours en coin, jamais très clairs ces yeux brouillards en vie
brouillonne. Je les ouvre et fixe au-delà en bloc-cure sur le mur blanc.
Bloc-corps en crans d’efforts. Visser l’écrou du ressaisissement…mantras plus
forts. Autour ils tournent ces autres hommes, ils tournent autour du samadhi
plus fous que moi, à la recherche de quoi, de qui ils sont peut-être…aussi
paumés que moi…mais le savent-ils ?
Sur mon lit, j’explose…faut que ça sorte…loquet fermé.
J’ai fini ma journée sur le mode de l’ostinato…à genoux,
mais pas pour prier…
dimanche 29 juillet 2012
Jour 1/3
Tiruvannamalai
Levée à 6h pour partir à Tiruvannamalai à 120 km de
Pondichery. J’ai laissé ma valise à mon amie Equatorienne, Veronika, à la guest
house et n’ai emporté que deux trois habits et un livre dans mon sac à dos.
J’ai pensé à faire une photocopie du plan de la ville pour savoir m’orienter
dès mon arrivée.
C’est sans problème que j’ai pris le bus. Je connais
maintenant le prix des rickshaws pour me rendre à la station : entre 70 et
80 roupies. Je me repère bien sur place et il m’est aisé d’aller demander un
simple renseignement au bureau d’information. Il s’agit du même bus que pour
Gingee : le numéro 158 sur le quai numéro 7. Par chance, mon bus partait
juste 15 minutes après mon arrivée. J’ai été surprise car la dernière fois lorsque je l’ai pris, il était à 7h50 et l’on
m’avait assuré qu’il s’agissait du premier. Mais à l’heure où je tape ce texte,
je sais maintenant que lorsque l’on annonce qu’un bus part à 11H par exemple,
le départ peut très bien être à 10h30 si ça chante au conducteur. C’est ainsi
que pour le retour j’ai eu une chance extraordinaire de ne pas le rater !
Le bus est vraiment pourri mais ça vaut le coup de le
prendre. Pour le prix d’abord : 47 roupies pour 3 heures de bus comparées
aux 80 roupies de rickshaw pour deux kilomètres en ville, ça laisse
songeur !
Après il faut supporter la permanence d’un klaxon qui troue
les tympans, les multiples arrêts pour le ramassage scolaire, pour prendre les
gens qui vont faire leur marché et se rendent d’un village à l’autre. J’ai servi
d’oreiller à une vieille dame. Pas moyen de bouger un orteil, coincée entre la
fenêtre, mon sac et sa tête. A chaque arrêt des marchands vendant samosas,
snacks, fruits montent par l’avant et redescendent par l’arrière facilement
puisque depuis la dernière fois aucune porte n’a été montée ce qui permet aux
gens de sauter dans le bus en marche.
Un homme est monté avec un encensoir et il nous a tous
enfumés les uns après les autres en nous passant son espèce de plumeau sur la
tête et en demandant après quelques roupies. Tout le monde donnait alors j’ai
dû chercher mon porte-monnaie tombé au fond de mon sac et vue ma situation
j’étais bien empêtrée. Je lui ai donc fait signe de repasser au retour :
il n’a pas oublié !
Nous sommes arrivés juste après un accident de la route
mettant en cause une moto et une voiture qui a fini sa course dans le coin
d’une maison en paille. Rien d’étonnant vu l’art de conduire ici. Comme je l’ai
déjà écrit, ça passe ou ça casse et quand ça casse, ça fait très mal vu que les
motards n’ont jamais de casque et qu’aucune limitation de vitesse ne semble
exister.
Pendant le trajet j’ai été heureuse de repasser devant les
belles collines de Gingee. Cette fois le temps était plus gris mais cela
n’otait rien à leur force. A la sortie de cette petite ville, très vite se sont
dessinées les montagnes de Tiruvannamalai et plus précisément Arunachala, le
mont sacré. Je n’ai cessé de le regarder jusqu’à mon arrivée trois heures
après.
En arrivant le conducteur m’a renseignée très aimablement sur
les horaires du retour : il parlait un tamil-anglais mais on a pu quand
même se comprendre.
J’ai décidé de ne pas prendre un rickshaw pour voir si
j’étais capable de m’orienter seule avec la carte. J’ai beaucoup de plaisir à
trouver des repères sans l’aide des autres et ça me permet de découvrir de
nouveaux lieux autrement qu’à pleine vitesse. J’ai longé la montagne sur plus
de 3 kilomètres en prenant à gauche en sortant la station de bus.
C’est
toujours tout droit jusqu’au temple Arunchaleshvara qu’il faut ensuite
contourner par l’arrière. Il est majestueux, très haut et ce qui est amusant
c’est de voir les singes grimper sur les portes et s’amuser autour des
sculptures des divinités et de leurs montures. ( cherchez quelques singes!)
J’étais contente d’avoir peu de choses à porter pour une
fois. Comme je ne savais pas où j’allais manger et si autour de l’ashram il
allait y avoir la possibilité de faire quelques courses, j’ai acheté à de
petits marchands des goyaves et des mangues.
Très vite- au bout de trois quart d’heures quand même mais
je n’ai pas vu le temps passer- je suis arrivée devant la grande porte de
l’ashram de Sri Ramana Maharsi. J’étais vraiment fière de m’être débrouillée
seule sans rencontrer la moindre difficulté en route. Avant on passe devant un
autre ashram.
Le long de la route de nombreux saddhus tendent la main pour
quelques roupies et je saurai très vite que Tiruvannamalai est la ville où les
miséreux ont vite compris qu’il y avait matière à tenter la pitié…donc ne pas
rentrer dans ce « jeu » et bien savoir à qui on donne quand on le
fait et pourquoi on le fait.
Dans la cour, au milieu d’une végétation luxuriante, près d'un arbre au tronc magnifique j’ai
laissé mes chaussures au pied d’un escalier sculpté et j’ai vite repéré
l’office et le bureau du Président qui avait répondu à mon email imprimé que je
tenais fermement dans ma main.
Dans le bureau il n’y avait personne donc j’ai
appelé et une voix m’a invitée à m’asseoir et à attendre. A ce moment, en
bourrasque une femme est entrée en posant plein de sacs et m’a fait signe de la
suivre. Je ne savais pas qui elle était ni pourquoi elle semblait si pressée
que je la suive moi qui pensais arriver dans un lieu calme où le temps a moins
de prise. Un peu déconcertée mais pensant qu’elle allait me montrer ma chambre,
je l’ai suivie avec tous mes sacs. Seulement elle allait tellement vite que je
la perdais sans cesse de vue et je me suis retrouvée à traverser presqu’en
courant une grande salle où les gens étaient assis en train de méditer. Pas une
fois cette femme s’est retournée pour voir si je la suivais ou non. Le sol me
brûlait les pieds et à chaque fois qu’un bout de bois ou un gravillon me
rentrait dans la chair je réprimais un cri. En plus j’étais en proie à une
furieuse envie d’aller aux toilettes. En
fait, je me suis retrouvée dans le dining-room. Les portes allaient fermer ce
qui expliquait le sprint dans l’ashram. Tout ça pour manger ! Les portes
ont été fermées à clé derrière moi et plus moyen d’aller aux toilettes et de me
laver les mains. Le hall était immense et parsemé de feuilles de bananier et de
verres en métal posés sur le sol et les gens en file indienne s’asseyait au fur
et à mesure de leur arrivée devant la feuille. J’ai posé mes sacs dans un coin
et je me suis installée comme les autres. J’étais très mal à l’aise car ma
hanche me faisait très mal et je me voyais mal manger avec ma main droite
immonde sans pouvoir me plier vers l’avant, d’autant plus que j’avais la vessie
pleine ; Je voyais déjà la catastrophe arrivée. Toutes les mains gauches
étaient condamnées et cette fois je n’allais pas pouvoir tricher. Je voyais la
crasse de ma main avec laquelle j’ai dû en plus laver ma feuille de bananier,
mais bon fallait que j’assume la situation et c’est ce que j’ai fait. Des hommes avec des sauts passent les uns
après les autres, qui servant le riz, qui un peu d’huile à froid – c’est une
première depuis que je suis en Inde !-, qui une sauce, qui une autre,
qui de l’eau….Le problème avec la sauce
c’est qu’on te la sert à 60 cm d’altitude et quand ça arrive sur ta feuille tu
en prends une partie sur toi. Tout était brûlant et je me demandais comment ces
gens pouvaient se lancer avec leurs trois derniers doigts aussi vite dans cet
immense malaxage. Leurs mains sont comme leurs pieds, insensibles. Pas les
miennes ! Finalement j’ai compris l’intérêt des trois derniers doigts
puisque cela permet de pousser avec le pouce resté libre et j’ai réussi à
manger en tentant d’oublier l’idée de la saleté. C’est plus frugal qu’à
l’ashram de Pondichery mais surtout meilleur et plus équilibré. Et finalement
je saurai bien vite que l’on vient nous resservir si besoin. Mais quand à côté
de toi tu as quelqu’un qui ne prend qu’un peu de riz, c’est assez culpabilisant
de vouloir se faire resservir. Pour ce premier repas j’ai bien aimé le dessert,
le seul d’ailleurs que j’ai aimé pendant mon séjour : une sorte de boisson
laiteuse mixant céréales, épices, cajous. C’est peut-être ce qu’ils appellent
l’Uttapam.
Ensuite j’ai attendu le signal pour me lever, et j’ai fait
comme tout le monde, la queue la main pleine de jus collé en pince, pour se
nettoyer…mais moi je ne crache pas, je ne râcle pas ma gorge, je ne rote pas et
je ne pète pas. Ici comme partout en Inde, ça ne pose aucun problème, quand ça
doit sortir, ça sort, même en pleine méditation : la classe.
Ensuite j’ai affronté pieds nus les toilettes à l’indienne,
heureusement qu’il y avait aussi un baquet pour se laver les pieds…Finalement
après, on m’a donné la clé de ma chambre
après m’avoir posé quelques questions sur mon travail à l’ashram de Pondi. Dans ma salle de bain, pas de douche, juste
deux petits robinets d’eau froide et pas de chasse d’eau. Là encore, c’est avec
le seau qu’il faut y aller.
Fini de jouer les occidentales, je me mets en mode indienne sans louvoyer car
je ne peux tout simplement pas. Sinon la chambre est grande, très propre,
carrelage à l’ancienne, meubles en bois, étagères en dur.
J’aime beaucoup ce
lieu en fait et je suis dans un endroit reculé de la route, entourée de
magnifiques arbres, de singes, de paons, de chats et de chiens.
J’ai juste un
homme qui dort sans cesse allongé devant ma porte, je pense que c’est le
gardien. Tout va bien tant qu’il ne crache pas…mais il crache comme les autres
trop souvent et ça a vraiment toujours un sale effet sur moi….ça me dégoûte
complètement…
C'est comme un gros moustique que je ne dois pas écraser en sortant!
J’ai fait un tour de l’ashram et j’ai repéré la porte qui
mène à la montagne ainsi qu’au circuit « sacré » qui l’entoure et que
les pélerins empruntent les jours de pleine lune. J’ai demandé si là tout de
même on pouvait mettre des chaussures et un travailleur m’a rassurée en me
disant que même dans l’enceinte de l’ashram je pouvais les mettre sauf pour
entrer dans les salles. Le bonheur retrouvé ! Finies les brûlures :
je n’ai rien d’un fakir et aucun désir de le devenir. Je veux garder ma peau de
bébé sous mes pieds et je ne veux pas avoir cette corne fissurée que je vois
chez les indiens.
Me voilà donc bien installée. C’est un lieu très calme malgré
la proximité de la ville bruyante.
Cependant je suis un peu nauséeuse depuis le repas mais ça doit être la
fatigue couplée à la chaleur.
Le programme des journées à l’ashram semble très dense même
si au final il y a très peu d’actions : beaucoup de méditation, puja,
mantra, nourriture aux pauvres, lectures des œuvres du Guru.
Pour ma part, la vraie détente je l’obtiens en me mêlant à
tous ces singes qui bordent ma chambre. L’indien qui squatte par terre mon
perron ne cesse de leur parler et tente parfois de les tenir à distance. Mais ils sont si mignons!
J'ai décidé de partir faire quelques pas dans la montagne en attendant le thé…
Finalement j’ai dévié mon projet car je me suis arrêtée en
chemin à la librairie de l’ashram. J’ai demandé à écouter quelques musiques qui
étaient en vente et me suis décidé à acheter les hymnes d’Arunachala Stuti
Panchakan que je trouve très beaux et pleins de vie.
Ensuite, comme j’avais très soif je suis allée m’acheter de
l’eau en face de l’ashram dans un magasin d’alimentation biologique bien
contente qu’il se trouve là. J’en ai profité pour acheter quelques figues
sèches et des galettes de riz car demain matin je me lève à l’aube pour aller
avec ma voisine espagnole faire le tour de la montagne avant qu’il ne fasse
trop chaud.
Je suis très contente dès le premier jour d’avoir trouvé un
compagnon de route qui en plus semble très sympathique. Devant nos portes on s’assoit
en silence pour regarder les mamans singes et leurs drôles de bébés.
Ce qui me
fait le plus rire c’est lorsque la mère décide de changer de lieu pendant que
le petit est en train de téter ou de jouer à ses côtés. Le petit arrive
toujours au dernier instant à se raccrocher à une touffe de poils, un bout de
queue, une mamelle libre pour attraper le train en marche. C’est tout un
spectacle d’observer ces bébés grands comme un demi avant-bras, sans poils ou
presque, les oreilles très décollées, tenter de retrouver une certaine
stabilité. Je craque totalement…
Le temple intérieur de l’ashram est magnifique et les
sculptures très finement ciselées. L’atmosphère est propice au calme. Les
multiples petites bougies, les encens éclairent doucement les murs et
sculptures couleur ébène. L’atmosphère est d’autant plus troublante que pendant
que s’effectuent les gestes liturgiques, dans la pièce d’à côté, des adultes et
des enfants psalmodient sans trêve des chants védiques pendant que les dévots
tournent autour de l’autel avec un rythme soutenu, enchaînant les cercles
pendant de longues minutes. D’autres préfèrent écouter en méditant, assis en
tailleur. Je me suis mêlée aux marcheurs pour ressentir ce que cela faisait de
marcher au son de ces mantras. Je n’ai pas compris pourquoi certains allaient
si vite. J’ai préféré prendre la courbe extérieur et aller lentement. Au bout d’un
moment j’ai saturé, ne ressentant finalement pas grand-chose sauf mes muscles
et je suis allée m’assoir en tailleur dans un petit coin. J’ai vite repéré que
d’un côté étaient les femmes, de l’autre les hommes. A un moment, les chants
ont changé et les gens se sont levés. J’ai suivi le mouvement par respect mais
me suite vite mise à l’écart lorsque j’ai vu tout le monde plonger la tête la
première pour baiser le carrelage, les jambes tendues en arrière, un pied sur l’autre.
Le sens m’a complètement échappé et je n’ai senti qu’une envie de quitter la
pièce. Je suis donc allée près du Samadhi de Sri Ramana, sur le côté duquel est
gravée dans le mur l’histoire de sa rencontre avec la mort lorsqu’il avait à
peine 16 ans et qui a conduit à son changement de vie.
A côté de moi, une femme chantait doucement. Une cloche au
son très profond s’est mise à sonner et j’ai bien cru dans ce clair-obscur avec
les singes accrochés aux barreaux du temple à contre-jour comme essayant d’écouter
les mantra, me mettre à pleurer. Mais à ce moment, un sadhu est venu vers moi.
Je l’avais croisé une fois dans le jardin. Il était maigre comme un clou, avec
une très longue barbe grisonnante en bataille, et un sac en bandoulière chargé
de livres et de cahiers. Il me regardait avec de grands yeux très ronds et un
large sourire. Impossible d’y résister et ma tristesse s’est immédiatement
envolée. Il s’est mis à me parler en tamoul, puis en anglais et quand il a su
que j’étais française, il s’est mis à me parler en français courant. J’imagine
bien qu’il connaît aussi d’autres langues comme le sanskrit, l’hindi…. Il avait
beaucoup d’humour et par la suite quand je suis allée écouter les pudjas que
chantaient à présent la femme qui était à côté de nous quelques minutes auparavant,
je l’ai vu agrippé au samadhi en train de claquer des doigts et de marteler le
rythme, la main posée sur ses longs cheveux. Il me plaisait bien lui, et j’avais
très envie de le connaître un peu plus mais je reste peu de temps avec tout de
même l’intention de conserver au maximum le silence.
Avant le repas, j’ai décidé d’aller faire quelques pas dans
la montagne par le petit passage. En arrivant, le gardien m’a dit quelque
chose, je n’ai rien compris et je suis passée en hochant juste la tête. J’ai
compris plus tard ce qu’il me disait car lorsque j’ai voulu revenir un peu
apeurée de me retrouver seule face à une assemblée de singes d’une autre espèce
qui s’amusaient à s’assoir en me regardant
nonchalamment au milieu du chemin et de
chiens hurlant à la mort à chaque fois que je faisais un pas….la porte étaient
cadenassée !
J’ai dû donc faire le tour de l’ashram en sillonnant un peu
au hasard à la tombée de la nuit, un quartier extrêmement pauvre au milieu de
gens vivant dehors. J’ai caché ma peur et j’ai répondu aux différents signes.
Une petite fille m’a un peu guidée pendant qu’elle allait chercher de l’eau
avec sa jarre de couleur. C’était assez impressionnant de voir tous les
détritus amoncelés dans le quartier mêlés aux bouses et pisses de vaches…et d’humains.
Je pensais pour ce jour en avoir terminé avec mes
péripéties. Il a pourtant fallu que je me fasse aborder puis suivre jusqu’à ma
chambre par un indien américain qui s’était même caché pour voir où j’allais
entrer. Mais je l’ai aperçu et assez désagréablement je lui ai demandé ce qu’il
faisait, en lui rappelant assez aigrement qu’on était quand même dans un ashram !
Comme il faisait nuit noire, j’ai eu quand même un peu peur par la suite et j’ai
carrément mis mon canif ouvert dans mon sac à portée de main !En arrivant
au dining-room un couple m’a abordée. Je leur ai dit ce que je venais de vivre
et ils m’ont orientée vers le responsable. J’étais un peu gênée de lui dire
mais apparemment c’est ce qu’il convient de faire dans ce lieu. J’ai donc été
escortée par la suite par une indienne.
Concernant la nourriture, j’ai adoré. J’ai mangé sur des
feuilles de bétel séchées et cousues avec de fines branches. C’était très joli.
Seul le service pose problème car à chaque fois que l’on me sert la sauce de
haut, je reçois des éclaboussures brûlantes. Pour le petit lait, j’en reçois
autant sur la main que dans mon verre. Les sauces par contre sont aromatiques,
épicées et variées. Je me suis laissée emportée par ma gourmandise en en
redemandant un peu à leur second passage mais ce n’est pas souvent que j’ai eu
l’occasion de découvrir de si bonnes préparations. ( fin du jour 1)
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