lundi 30 juillet 2012

Petit temps partagé simplement avec les petites filles et jeunes filles de l'orphelinat: jeux de balle, goûter, danse, atelier kolam...



Jour 3 Tiruvannamalai

Nuit de combat contre les moustiques. Oubli de soi et fatigue qui s’explique. J’accepte et j’embraie la nouvelle journée en cycle qui redémarre sans pour autant raturer la veille en cache-misère. Prudente, juste. Mais ouverte et souriante.
Après le petit déjeuner constitué de 4 idlis, de sauce sambar et d’un espèce d’agregat de rapadura que j’ai juste eu le temps de repousser avant que la louche ne s’abatte sur le reste. Ici les mélanges ne posent pas problème mais pour ma part, j’exècre les mélanges sucrés-salées et ce qui est trop sucré tout simplement.
On nous sert aussi un café au lait horriblement sucré ce qui est surprenant pour un ashram. J’ai vu que certains demandaient juste du lait. Je le ferai demain tout en sachant que les laitages sont vraiment à éviter, mais je n’ai aucune protéine depuis plus de deux mois et j’ai tout de même besoin d’un peu de forces.
J’ai écouté deux ou trois chants védiques et me suis installée devant  la petite porte qui mène aux caves (lieux de retraites  construits dans les roches), dans l’espoir de trouver un ou deux compagnons de route puisqu’il est indiqué aux femmes de ne pas circuler seules. Mais au moment où cet avertissement commençait à me peser, j’ai croisé une femme occidentale qui descendait de la montagne seule. Elle m’a dit que je pouvais y aller en solo. J’ai donc abandonné l’idée de partager ma matinée et je suis partie à l’aventure. J’ai senti un vent de liberté couler dans mes veines. Quelques centaines de mètres plus haut- on a beaucoup de mal ici à souffrir de solitude !- un indien blessé à la cheville me demande de le suivre pour me montrer un lieu de méditation. Je n’avais pas vraiment la tête à cela mais pour ne pas l’offenser, je l’ai suivi.

 J’ai eu droit à un protocole complet entre les icônes et statuettes : boule de ghee enflammée, encens à faire tournoyer autour de soi, poudre sur le front. Nous étions très tranquilles et cela m’a finalement un peu apaisée. N’ayant pas de monnaie sur moi, je lui ai signalé sa blessure qui commençait à s’infecter et je lui ai appliqué du tegarome, un mélange d’huiles essentielles et j’ai enroulé autour un bout de tissu que j’ai trouvé dans un coin du petit temple. Il a semblé très content. 


Je suis repartie vers les hauteurs en zigzaguant entre les singes. Le vent léger, plus frais m’a revigorée même si je restais encore un peu dans la brume. J’avais encore en moi les éclats de mon poème fracturé de la veille plantés comme des becs de rapace dans mon estomac et mon cœur. L’après bataille est souvent silencieuse mais douloureuse pour le corps physique. Cependant, plus je m’élevais, plus les animaux, les rayons du soleil intermittents entre les fleurs et les feuillages, la vue sur la vallée effaçaient les stigmates.
Le temple avec ses quatre entrées est tout simplement magnifique.

 Je me suis posée quelques longues minutes sur un rocher le surplombant. J’ai fait quelques exercices de pranayama. Brise, douceur du soleil loin de toute pollution…une belle détente !


Skandashram cave est très accueillante. Entre rochers et arbres, bâtie en dur, peinte, elle offre une salle de méditation pour les pèlerins et une très jolie salle de lecture. 

Je fuis les salles trop sombres, surtout pour méditer et surtout quand c’est bondé. La vue d’une dizaine de personnes collées les uns contre les autres en tailleur, les yeux fermés dans la pénombre, a le don de m’angoisser. J’ai préféré donc lire adossée au mur blanc face à la nature, quelques lettres de Sri Ramana Maharshi sur la santé et le suicide.
 C’est sûr ce n’est pas très gai, mais c’est toujours intéressant de lire ce qui peut apporter un nouvel éclairage par rapport à d’autres lectures…bon là, je n’ai pas appris grand-chose sauf que ses mots sont très positifs. Maintenant, rien ne peut empêcher ces instants d’ombre et de violence qui m’échappent et certainement échappent à d’autres humains. Chacun vit la recherche du soi ou plus justement la rencontre du soi avec plus ou moins de réceptivité et de sensibilité et me concernant, il n’y a que la mise en place de certains symptômes ou rituels pourrais-je dire maintenant, qui m’empêchent de sombrer. Ce que j’apprécie chez ce gourou, c’est qu’il explique clairement qu’aucun guru justement ne permet de donner ce que l’on doit trouver par soi-même. Une voie est proposée, mais à chacun de chercher et trouver son « path » ou chemin. La voie offre un ensemble d’outils je pense, plus ou moins puissants pour se recentrer ou se décentrer selon la nécessité du moment. Cela agit comme un mandala qu’on choisit de commencer par le centre ou par l’extérieur en fonction de son état intérieur. Après, je trouve l’addiction à la dévotion plutôt néfaste pour la connaissance de soi et des autres. Je pense que c’est aussi un symptôme de perte de repères mais comme il est partagé, ça rassure bien plus que lorsque l’on se fait un petit rituel à sa manière. Je ne pense pas à terme que ça soit moins dangereux pour l’équilibre personnel…On s’en remet à l’Autre, aux autres, aux pseudo-forces sensées venir nous enrober, nous pénétrer mais je ne suis pas certaine que cela donne un éclairage plus réel sur ce que l’on est. Nos sens nous trompent peut-être ainsi que nos sensations mais ce qui vient de l’extérieur pour ma part, risque encore plus de nous induire en erreur.  Je n’ai pour ma part pas besoin de penser que le divin doit s’incarner dans un autre homme pour qu’il soit pensable : la nature suffit. Encore faut-il savoir regarder autour de soi mais à force d’entendre que ce qui est extérieur ne permet pas de se connaître, on crée des électrons libres qui se croient reliés les uns aux autres juste par quelques rituels et saupoudrages de couleur.  Ça peut apaiser, réduire des peurs, je veux bien le concevoir et le respecter mais plus je le vis, plus je freine et pourtant « dieu sait » si j’ai essayé d’être réceptive…Cela m’a juste permis d’aiguiser mon esprit critique et de renforcer ma conviction que ce n’est pas dans ce qui est créé par l’homme que l’on trouvera l’énergie vitale.
Pour les natifs ça ne me choque pas, ça me choque plus de voir les dévots occidentaux se vautrer sur le sol comme les autres et faire des grands cercles d’excités autour du samadhi. La plupart restent modérés et s’en tiennent à des signes de respect et de menus rituels. Malgré tout , il est important de commencer à lire ce que les gurus ont fait en particulier pour donner leur éclairage du monde, de la vie car certains sont vraiment respectables par les actes concrets qu’ils ont faits et qui ont permis justement à beaucoup de gens d’avoir moins le nez dans le guidon d’une vie qui s’emballe… Concernant le divin, j’y crois évidemment car il suffit de se pencher sur des êtres tels que Leonard de Vinci, Victor Hugo, d’autres très grands penseurs et artistes, scientifiques qui ont traversé les siècles pour croire à quelques élus…je pense juste qu’ils étaient plus réceptifs que d’autres et ont su explorer les partis de leur être en accord avec leur époque, leur environnement, le temps qui les précédait…Je suis super confuse là, écrasée par la chaleur et la fatigue mais je n’ai aussi tout simplement pas les mots pour exprimer ce que je ressens et ne va pas à l’encontre du divin. C’est juste souvent la forme qu’on lui donne et le poids que l’on pose sur ce mot qui me gêne.
Concernant la connaissance du Soi, il faut se mettre d’accord sur ce qu’est ce Soi, et Sri Ramana, l’exprime plutôt bien et d’autant mieux que le plan spirituel n’est pas évincé comme il l’est bien trop souvent dans le monde occidental. Le spirituel est bien souvent relié au religieux et à des rites communautaires  ce qui est souvent le cas encore partout dans le monde. Très flagrant en Inde mais lorsque ça aide à supporter une vie bien souvent difficile moi je dis : continuez et en plus beaucoup de rites éveillent de troublantes sensations  -mais sont-elles plus porteuses de vérité ? je ne sais pas… et c’est là où le bât blesse pour moi. Je ne vais pas maintenant rentrer dans les détails de ce qui fait souvent encore nœud pour moi. En tout cas, Jung s’est référé à ce guru et c’est toujours intéressant de comprendre les sources d’inspiration de ceux qui ont su théoriser des schèmes de comportements, pensées et qui ont contribué à définir ce qui se joue souvent de façon très confuse dans la pensée et le ressenti de l’homme qui arrive souvent avec une souffrance à soutenir pour qu’il ne sombre pas avant d’avoir vécu son temps…Je ne crois pas aux autres vies non plus, je crois par contre que chaque être vivant laisse une énergie  et une mémoire qui débordent sur ceux qui l’ont entouré et que certaines vies sont déterminées par la vie d’ancêtres, de croyances, mais pas par une réincarnation…on peut le croire quand la personne ou l’être a justement une certaine capacité appelée « don » à lire l’illisible, à sentir, percevoir, accueillir ce qui reste dans l’invisible tout simplement parce que ça n’a pas encore ou plus la forme que tout le monde pourrait sentir et identifier. Le « soi » pour moi a peut-être une forme prédéfinie, idéale, mais le tempérament, le mode de vie, l’altèrent, le modèlent, le rendent changeant et c’est totalement humain que de percevoir son « je » comme imparfait et souvent confus. Vouloir balancer dans la poubelle l’ego, le « je », je trouve ça totalement absurde et inhumain justement. Pourquoi vouloir ressembler à une chose immobile que quelques quidam jugeraient parfaite, à l’image du divin ? Qu’en sait-on de cette image du divin ? pas grand-chose et c’est normal puisqu’il n’a pas d’image : c’est une force, point. Elle peut après prendre une forme jugée horrible ou splendide, éblouissante ou non…ce qui est EST, on est d’accord…et ce qui n’est pas encore, EST tout autant et là on n’est pas tous d’accord mais l’énergie y est.  La hiérarchie n’est nulle part : il y a juste des différences et un principe de respect que souvent il n’y a pas alors on tente de l’instituer pour que ça roule. C’est le regard que l’on porte sur les choses et les non-choses qui doit être épuré, pas le « je » ou le « corps » ou je ne sais quoi encore qui font partis de notre réalité…à nous de savoir après s’il y a « accord d’être » ou non…
Concernant la vie belle, idéale, heureuse quand on a rencontré le divin en soi, je doute encore. Ça va si les conditions sont réunies, mais il faut aussi ouvrir les yeux sur l’extérieur sinon on devient un aveugle heureux… la vie passe à côté de soi… Sri Ramana explique comment on peut être conscient de ce qui ne va pas autour mais explique aussi pourquoi ça n ‘implique pas forcément d’être en souffrance dans l’observance de cette réalité. Ok, rien de nouveau sous les tropiques…juste des mots à respecter puisqu’ils sont justes.

Pour ma part je pense que l’on ne peut être heureux que si l’on a conscience que parfois on ne doit pas l’être toujours, que les moments de sérénité ne sont perçus que par opposition avec ceux qui le sont moins. Le comprendre n’aide pas forcément à être plus serein quand on ne l’est pas, ça aide à surmonter le moment et à ne pas s’y abîmer et c’est ce qui rend courageux l’homme et persévérant surtout. Et là, je rejoins les écris de Mother de l’ashram de Sri Aurobindo mais ici encore, je n’ai pas appris grand-chose concernant ces concepts.
La connaissance de soi passe par la nécessaire perte de soi. On ne connaît bien une ville souvent aussi parce qu’on se perd dans ses circonvolutions et que l’on découvre ce qui n’était pas indiqué sur une carte faite par quelqu’un d’autre. A chacun de connaître et de trouver ses outils d’investigation : une méthode proposée reste une proposition, on peut la mettre en acte mais rien ne dit que c’est cette méthode qui a permis à un quidam de se connaître qui va permettre à plein d’autres de mieux se connaître. Excepté peut-être le yoga intégral développé par Sri Aurobindo qui s’écarte totalement des asanas conventionnels et se travaille dans la vie quotidienne : pour ma part c’est une psychanalyse continue qui doit déboucher sur des actes de vie : là le yoga intégral me plaît bien car tout y est, de l’analyse à la pratique, du tumulte à la paix, du sport à l’école en passant par l’art et l’écoute de la Nature…Par contre là où je reste dubitative c’est sur la pratique qu’en font certaines personnes qui est vraiment approximative malgré le fait qu’elles déclarent le pratiquer au quotidien : elles restent désagréables, médisantes et n’aident pas à ce qu’on adhère à ce qui semble les tuer plutôt que les animer…Problématique humaine…la contradiction incarnée et c’est bien ça qu’il faut aussi accepter pour mieux tolérer… Le modèle ne peut être un autre humain…les écrits oui, tant qu’ils restent une source d’inspiration en œuvre ouverte…

Retour à ma montagne, je souris de la profusion de ces pensées qui veillent à ne pas me laisser trop longtemps l'âme en paix! Je repars donc avec l'Unique, celle en qui je voue un véritable culte sans cérémonie: Dame Nature et sa Nudité qui ne me choque pas, elle...
Je reprends mon bâton de pèlerin et je rejoins Virupaksha cave en descendant cette fois vers le temple. Cette cave est plus petite. L’entrée est une petite pièce colorée avec quelques photos du guru et salle de méditation est attenante, toujours remplis de personnes qui semblent se shooter à cette technique ! Respect…mais parfois c’est un peu trop de méditer 6 heures par jour non ?
Je suis restée assise quelques minutes sur le muret blanc à regarder les arbres aux ramages sublimes et à écouter le chant des oiseaux et j’ai décidé de remonter et de m’aventurer seule plus haut, vers le sommet de la montagne ou le Guru avait élu sa plus belle retraite : je le comprends ! 


Malheureusement dès le début, il s’avère que le chemin est très dangereux, sans aucune prise pour les mains, glissant, difficilement reconnaissable avec des flèches plus ou moins effacées. La chaleur est plombante vers les 11h, et je n’ai presque plus d’eau : je deviens une kamikase.
Mais je suis vite rejointe par un indien qui me fera office de guide sans un mot. Il m’a souri, m’a pris la main et fait signe de le suivre. Tout d’un coup la vie est devenue plus facile et très agréable : mes peurs se sont plus ou moins envolées et j’ai suivi les petits pieds nus agiles sur le roc en faisant bien attention de ne pas glisser. Mais le guide connait par cœur le moindre petit caillou. Par contre, ne sachant pas au début que ça en était un, je n’étais pas sûre de savoir redescendre par moi-même et la vue du vide en dessous réactivait un peu mes démons. Sa main était ferme et me demandait de me laisser à la confiance. J’ai juste dit que je ne voulais pas aller au-delà de la moitié du chemin par manque d’eau et par surcroît de chaleur. Me laisser porter a été pour moi extrêmement symbolique surtout que cet indien je ne l’ai pas cherché, il est venu à moi pour m’aider juste au moment où j’avais formulé l’envie même seule d’aller voir un peu plus haut combien la montagne était belle et la vue sur le monde élargie…

Pour me faire reposer, il m’a menée à une petit grotte cachée dans l’anfractuosité d’un gros roc et il m’a encore conseillé de méditer pendant que lui restait assis quelques mètres plus loin en plein soleil. Je me suis dit qu’on voulait ici vraiment me pousser à méditer et du coup, j’ai obtempéré en souriant et…ça a marché ! Le lieu à l’écart des autres et du monde me convenait totalement, avec une large brise, quelques roses abandonnées séchées autour de moi et un silence parfait ! 

J’ai demandé après à redescendre et il m’a tenu la main pendant presque toute la descente en m’indiquant parfois quelques branches à saisir dans les moments un peu plus délicats. Je lui ai donné 10 roupies en partant parce que j’estimais même si je n’avais rien demandé, que sans lui je n’aurais rien fait, et que si j’avais su que je pouvais prendre un guide aussi sympa pour ce prix, je l’aurais pris immédiatement. J’ai passé un merveilleux moment avec lui et ma journée en est restée remplie.
De retour au temple, après le repas, je suis repartie dans mon étude approfondie des singes avec leurs mimiques extra et leurs acrobaties hilarantes : parfois je me dis qu’ils savent qu’on les regarde, ce n’est pas possible autrement ! 

J’adore passer du temps avec les animaux. Le soir, une grosse pluie s’est déclenchée et un chien est venu s’abriter sous mon bungalow. Je suis sortie et me suis assise à côté de lui : il s’est serré contre moi et nous avons passé trente bonne minutes en silence, lui me tendant sa petite tête et ses grands yeux pour que je lui gratte le front. Ça a été un doux moment : pluie, fraîcheur, odeur de terre sèche, luminosité, silence…
Quelques heures avant, une petite chatte à laquelle j’avais donné un peu de lait un soir et qui était venue dans ma chambre, m’a reconnue dans les allées de l’ashram et en miaulant, n’a cessé de me suivre ce qui a débouché aussi sur des moments câlins. 

Sri Ramana a beaucoup écrit sur les animaux et un samadhi leur est aussi destiné dans l’ashram. Tous les jours, un sadhu donne à manger aux paons qui ponctuent de leurs « Léon ! » les mantra.

Je n’ai pas trop profité du temple comme j’avais pensé le faire le dernier jour car j’y suis allée avant 15h et c’est le moment de la sieste : j’ai donc juste pu apprécier de faire le trajet en être « recollé » avec juste un frêle fêle juste suffisant pour éclaire la misère, la poussière et les vaches décolleuses d’affiches et en faire un nouveau petit poème. J’ai arpenté la grande cour d’Arunchaleshvara en me brûlant encore les pieds et en serrant les multiples mains qui se tendaient vers moi comme si j’étais une déesse : c’est d’ailleurs assez étrange dans certains lieux de voir que les gens nous prennent pour ce que l’on n’est pas…on m’a tendu de la poudre blanche, il a fallu que je serre les mains de plusieurs bébés…mais j’ai quand même trouvé quelques instants privilégiés pour apprécier quelques fines sculptures sur les façades. 


Au retour, bien fatiguée, je me suis arrêtée pour acheter quelques colliers à des marchands dans la rue : rien de bien extraordinaire, mais j’étais contente d’échanger quelques mots et regards avec ces personnes…
J’ai un peu mieux dormi cette dernière nuit et j’ai eu la bonne idée le matin de prendre un rickshaw pour prendre mon bus de 11h alors que j’avais prévu de faire le trajet à pieds : arrivée à 10h20, j’ai à peine eu le temps de demander où se trouvait mon bus, de faire le tour de la station, de grimper…que le bus est parti une demi-heure à l’avance !
Encore un signe de…
Ça s’appelle avoir de bonnes ondes…




Faire le tour de la montagne n’a pas été pour moi aussi agréable que ce que je prévoyais. Disons qu’une partie de mon énergie et de mon plaisir ont été phagocytés par le fait qu’au lieu de deux, nous nous sommes retrouvées à cinq. Dès le départ il a fallu attendre l’un qui n’avait pas d’eau, s’arrêter pour un autre, marcher moins vite…. Le problème était surtout centré sur une suisse qui semblait faire la course avec un escargot et surtout nous a fait longuement attendre à un petit temple car elle semblait attendre la descente du divin en elle…pas évident de partager des temps communs quand l’un veut méditer pendant que l’autre veut marcher…mais bon, finalement, on a pris tous le pli et on a su s’adapter les uns aux autres et je pense que mon ressenti était partagé du coup tout le monde a fait un effort et c’est peut-être cela l’essentiel de cet instant. J’imagine bien quand il y a 100 pélerins sous la pleine lune qu’il faut trouver un pas qui permette à chacun de suivre le groupe. Encore un apprentissage pour moi. 

Nous avons marché presque 4 heures avec quelques temps d’arrêts pour prendre des photos, boire, manger quelques gâteaux pour les unes, fruits secs pour les autres.  Je pensais que nous allions avoir quelques moments de grimpette mais non, le tour est presque sans dénivelés et la beauté est à ressentir dans la puissance des pierres , leurs dispositions en ligne, en rond, en équilibre, aléatoires et naturelles, leurs inscriptions, les petits temples disséminés ici et là, l’odeur des petites fleurs plus diaphanes les unes que les autres, les chants des oiseaux…et surtout le sommet du mont à observer à 360° avec ses clair-obscur en fonction de l’exposition au soleil. 

Les sentiers s’ouvrent quelquefois sur des clairières offrant de petites étendues d’eau dans lesquelles quelques sâdhus prennent leur bain et finissent de sécher en méditant…

Parfois cependant, derrière un arbre on en apercevait un en train de méditer dans une immobilité totale et qui semblait être là depuis des siècles, les cheveux très longs, gris, le corps dénutri…Nous passions notre chemin en approfondissant notre silence, comme si finalement ces instantanés nous rappelaient  la particularité du lieu et l'enjeu de cette marche.


Il est vrai que depuis des semaines, pratiquant l’initiation au yoga intégral à l’ashram de Sri Aurobindo, je dois sans cesse lutter contre mes pensées souvent dominées par un mental bien trop agité et critique à mon goût. Heureusement, j’apprends à tempérer et à mettre ces pensées de plus en plus souvent de côté mais lorsque je le fais un peu par force en tentant d’appeler à l’aide mon esprit que je juge (peut-être à tort) défaillant, ça revient un peu en bourrasque peu de temps après. Du coup je préfère juste faire preuve de vigilance mais accepter ce qui me vient dans les tripes et dans la tête en me disant que ce sont aussi ces émotions qui me permettent après de chercher l’essentiel et ce qui est à retenir. Parce que si je dois à chaque fois faire table rase de ce qui se joue  dans ma tête, c’est comme si après j’essayais de faire un puzzle en ayant jeté les pièces au fur et à mesure que la couleur ou la forme ne me plaisait pas. Ou l’homme est total, ou il ne l’est pas, mais je ne vois pas en quoi l’appel du divin et/ou de l’esprit devrait écraser les autres parties et le mental et le corps en particulier. Ne doit-on pas au contraire penser que tout est dans tout et c'est bien souvent la fragilité assumée au milieu de la force qui aide à se respecter... 

La force c’est surtout une question d’équilibre mais avant tout une question de bien-être dans un environnement particulier il me semble. Parce que si je dois m’amputer de ce qui m’a fait vivre jusqu’à présent juste parce que je comprends que j’ai un peu tout mis dans la même balance, je risque en enlevant trop d’un coup de vivre l’effet catapulte et de ne pas du tout savoir gérer le peu d’une nouveauté que je ne sens pas vraiment actuellement même si j’aimerais évidemment m’en sentir plus investie . Mais chacun son rythme et surtout sa voie si je m’en réfère au Tao qui me semble plus compatible avec ce en quoi je crois- en ce moment.

La montagne est  quand même simple et belle, sa végétation l’adoucit et invite vraiment à la contemplation comme une caresse du regard.

Comme partout en Inde c’est le changement brutal de sons, d’odeurs qui crée la rupture et nous fait descendre de notre petit nuage où tout est harmonieux à l’image de la divinité et blablabla, les pieds glissent sur des détritus puants, on entend les klaxons à tire larigot, les arrière-cours donnant sur le bas de la montagne servent de toilette, le tour parfait est bien imparfait et moi je dis : c’est ça la réalité, faite de merde et de beauté, comme ce qui se joue à l’intérieur de nous et si on ne l’accepte pas, c’est sûr que l’on peut aller méditer 24h sur 24 pour ne rien en voir et ne rien en savoir, et penser dépasser ce qui est en nettoyant le tout à coup de mantras…mais ce qui est EST, et le divin est aussi alors dans la bouse de vache à éviter…et parfois personnellement, l’idée du divin me rend aussi très mal à l’aise parce qu’il sonne faux à mes oreilles quand je le vois investi par une bande de dévots qui passent leur journée à tirer la tronche et à te regarder de travers dès que tu sors un peu du rang en remettant un peu en question leur base inébranlable. Le divin est aussi dans leurs crachats, leurs rots et leurs pets qu’ils te balancent  à la tête sans se soucier le moins du monde de la présence de l’autre, puisque ce qui compte c’est qu’en soi, est le divin et que le reste, on s’en tape.
La montagne ne m’a pas endormie comme on peut le constater et au contraire, plus je me tais, plus je pense, et plus je pense plus je vois les nœuds de ce qui fait que le monde est monde comme une immense pelote qu’il ne vaut mieux pas toujours tenter de dénouer afin de ne pas toucher le magma d’enfer qui brûle et vocifère en son centre.
Cela dit, si l’on prend le devant de ce quartier en oubliant l’arrière-boutique, tout devient beau et coloré. La montagne, les temples, les maisons tamuls violettes, vertes, oranges, roses, les jarres bigarrées en plastique entassées devant les fontaines, le linge qui claque pour être lavé dans un lavoir en pierre blanche, les enfants qui sourient de leurs belles dents blanches et font tourner des roues avec un bâton comme nos grands-parents, les vaches qui allaitent leurs petits veaux, les mains qui se lèvent en faisant tinter les bracelets qui brillent en même tant qu’un «  Hi ! » annonce un beau sourire en attendant une réponse de notre part, nous, touristes privilégiés à la recherche du sacré : il est là, le sacré, autant que dans la montagne.

Retour en emportant dans sa tête les klaxons de la ville. Comment chasser le bruit ? C’est aussi difficile que les mots et je n’avais qu’une envie, plonger sur mon lit et me reposer un peu à la recherche d’un vrai silence, celui où personne ne peut me voir, celui où je n’ai rien à prouver à personne sauf à moi-même, et là, j’étais fatiguée et je me sentais très bizarre, comme si faire le tour de la montagne m’avait lancée comme une toupie sans savoir où et quand j’allais m’arrêter. J’avais un peu le tournis à ce moment et c’est un petit somme de dix minutes avant le repas -mais après avoir avalé une papaye entière achetée sur le bord de la route- qui aurait dû me faire du bien….mais…autre chose avait décidé de s'éveiller en moi...

Me voici encore assise dans le dining-room près de l’allemande qui parle tout le temps et commente ce qu’il y a dans les assiettes : silence c’est écrit, mais apparemment en allemand ça ne doit pas vouloir dire cela, ni en américain d’ailleurs. Et là, j’ai détesté l’horrible sauce pleine de crème que l’on m’a jetée sur mon riz. Du coup j’ai redemandé du riz pour assécher le tout, ce qui m’a fait beaucoup trop manger. C’était sans compter sur la sauce d’après, très épicée que l’on a resservie avec du riz et vu que j’étais frustrée par le goût, j’en ai pris alors qu’en général les occidentaux préfèrent ce qui est doux et sucré dixit l’allemande en louchant sur ma feuille de bananier.  Bien moi, je ne suis pas comme toi et si tu ne veux pas recevoir mon butter milk dans le nez, commence par t’occuper de tes doigts de pieds qui grignotent mon espace et s’avancent outrageusement vers mon riz. Il y a de l’ambiance à l’ashram ! J’en ris en recopiant mon texte car c’est vrai que je me suis fait à plusieurs reprises de sacrés soliloques qui avec le recul pourraient faire office de sous-titrage dans un film comique et muet. Comique ou…tragi-comique…
J’ai tenté de dissiper la vague qui commençait à monter en moi en allant un peu méditer dans l'entrée du temple, dos au samadhi, encore face aux écritures. J’ai tenu une vingtaine de minutes sans bouger ni ouvrir les yeux grâce à ma fatigue puis je me suis installée assise sur le petit chemin qui contourne le temple avec mon livre sur le Tao. J’ai eu du mal à me concentrer vu le nombre de singes qui sont venus m’observer presque à vouloir tourner mes pages.

 Un ashramite s’est approché avec son habit orange et s’est assis près de moi. Il a décidé de me protéger- un sens aigu de la lecture intérieure ?- en me faisant tous les gestes rituels sur la tête et en me poudrant le front de blanc et de rouge…Evidemment, il a fini par me demander une pièce et je lui ai fait comprendre que moi et les roupies ça faisait deux et qu’ici je ne me trimballais pas avec mon porte-monnaie coincé entre les pages de mon livre . Il avait de l’humour, tant mieux pour lui, et il est reparti.  La poudre a vite attiré des centaines de moucherons qui tentaient de suicider dans mes yeux alors j’ai filé en m’agitant comme un singe me protéger dans ma chambre. Evidemment, l’indien avait encore pris ses quartiers devant ma porte et il avait avec lui un copain et la loi du silence là encore était bien transgressée…craché à deux, c'est plus sympa!
Visiblement je ne semblais pas très sereine, et c’est exact. J’étais très frustrée de ne pas pouvoir aller marcher seule et décompresser de la présence des autres dans la montagne. C’est surtout le risque d’agression qui prime et franchement, ça ne m’aide pas à apprécier les hommes en général. Diogène avec  sa lanterne parmi les hommes clamait : «  je cherche un homme. » Moi j’éteins ma lanterne et je dis : «  je ne veux plus en voir aucun. »
Cling, bang, parfois quand on sent en soi l’éclatement, il vaut mieux tenter de rassembler les morceaux avant qu’ils n’aillent trop loin…passage au gris.

La fracture c’est ça. C’est quand le monde sur lequel tu marches s’effondre.
C’est la nuit et le brouillard.
Le plein qui s’accélère pour tenter l’approche du vide.
Nuit et brouillard. Toupie sans groupe électrogène devient balle de flipper.
Sortir vite à la recherche d’une pitance, de cette anse qui ne tient plus rien. Franchir des portes sacrées et s’enliser dans le tumulte du monde.
Déregarder les pauvres, démisérer la misère, déruisseler ses larmes, claquemurer ses pores, hermétique à tout et à tous.
Fermer les oreilles et déklaxonner en se défrôlant des camions qui veulent ta mort mais ta mort t’appartient à toi seule.
Marcher à tout prix et au prix que ça coûte ici autant en profiter. Tout ça en épinglant les larmes comme des papillons crevés, le cou cloué à la pointe des épaules, orbites à la recherche de l’urgence du gouffre et de l’engouffrement qui s’en suivra. Echec et dématte ces hommes qui t’appellent en te reluquant : c’est pas le moment.
Puis l’angoisse de ne rien trouver…que la misère et les gamelles vides, les petits étalages parfaitement organisés avec le minimum, quand toi, rongée par la divine vermine, tu cherches le maximum pour t’anesthésier.
Branlante, passagère du monde, à l’est comme à l’ouest , peut-être plus à vif ici quand il s’agit de survivre.
Aucune bordure en soi, comme ces rues dangereuses sans trottoirs, comme ces rues où les trottoirs sont des tas d’ordures… L’ordure faire la bordure, je suis bien une fille de l’est complètement à l’ouest.
Ne pas aller trop loin dans l’entre deux monde quand le cœur et le ventre se trouent, quand le corps ne sait plus à qui il appartient et avance tout seul comme un grand, pied gauche pied droit, de toute façon si t’as pas de sol, tu ne sentiras pas le « la » : force de la démesure.
Aucune rambarde pour  s’appuyer, aucune chasse d’eau pour effacer, fuir les regards qui déchiffrent ton mal comme une langue morte qui n’a pas de mystère pour les initiés et revenir en urgence se cacher derrière sa moustiquaire. A la volée, volets rabattus.
Chercher ce qui reste en consistance…à engouffrer. Croquer en transe ses galettes de riz, rompre son unique banane à coup d’incisives, combattre le manque sous les yeux débonnaires d’un guru en slip en train de juger que tu fais fausse route…

Même pas vrai, j’avale tout droit même si dans ma tête c’est un vrai dédale. Je dois tout faire à l’indienne et jongler avec me seaux là où ça manque cruellement d’eau. « Don’t waste the food and don’t waste water ! » J’enverrai ma fracture…toujours aucun bord, juste le sol si bas qu’il ressemble à un sommet : j’ai le vertige.
C’est ça : un en-cas de vertige.
Le temps reprend son espace. S’enrouler dans un châle en perte de soi, en cachure de corps gaché et se raccrocher au rythme de l’ashram : c’est l’heure du thé.
Lieu miracle, diaboliquement beau avec ses colonnes soutenantes en vieux bois peint en bleu, vert, rouge. Offrande d’un thé brûlant que l’on enrubanne d’un verre à l’autre pour l’entortiller de froid : ça me donne le mal de mer de regarder ces autres qui font valser le thé. Je préfère la brûlure du thé immobile et le souffle qui attise et n’apaise rien. Se taire. Coller le silence entre moi et l’autre ; devenir l’intouchable et l’inabordable. Chants qui se répètent à l’infini. Répondre à l’appel. S’assoir et se laisser saisir par la scansion ininterrompue des mantras a capella. S’en faire une boulimie, en cherchant une satiété qui devrait venir et ne vient pas…bien au contraire, et c’est normal puisqu’il est question d’infini…
Ça commence par envahir la tête et peu à peu le corps se fige, s’efface. Il devient mantra jusqu’au bout des doigts minute après minute puis c’est mon sang qui circule, ma vie qui s’égrène telle un chapelet : ne pas casser le fil, ne plus avoir à courir après les perles…
Soudain les pensées rebondissent : elles étaient juste aller faire un petit somme….ma vie c’est quoi, c’est où, c’est pour qui, c’est pour quoi, et mon passé j’en fais quoi…encore une fois ? Le temps se remet en ligne tel un rail qui brûle à force de se râper dessus. Comment aller en avant sans lâcher du passé, sans culpabiliser, sans penser ? Mes forces m’abandonnent mais je n’ai toujours pas la force d’abandonner.  Le temps en miroir, je tente de le briser et de me raccrocher aux mantras qui hurlent de plus en plus fort dans mon crâne. Ils sont extraordinaires ces chanteurs qui ne s’épuisent jamais : qui leur donne ce souffle ? Comment peuvent-ils tenir aussi longtemps, ça n’a plus rien d’humain…et pourtant il n’y a pas une coupure, pas une énergie qui tombe, pas un sourire qui ne cesse, pas un corps qui semble craquer…pendant que moi je suis en train de m’asphyxier avec rien et tout, trop de sons, d’images, de pensées, de mots, de silence, de bruit…trop est trop. Le cadenas des larmes saute, je tends les pupilles en trou pour les rattraper mais ça coule malgré tout, toujours en coin, jamais très clairs ces yeux brouillards en vie brouillonne. Je les ouvre et fixe au-delà en bloc-cure sur le mur blanc. Bloc-corps en crans d’efforts. Visser l’écrou du ressaisissement…mantras plus forts. Autour ils tournent ces autres hommes, ils tournent autour du samadhi plus fous que moi, à la recherche de quoi, de qui ils sont peut-être…aussi paumés que moi…mais le savent-ils ?
Sur mon lit, j’explose…faut que ça sorte…loquet fermé.
J’ai fini ma journée sur le mode de l’ostinato…à genoux, mais pas pour prier…

dimanche 29 juillet 2012

Jour 1/3


Tiruvannamalai

Levée à 6h pour partir à Tiruvannamalai à 120 km de Pondichery. J’ai laissé ma valise à mon amie Equatorienne, Veronika, à la guest house et n’ai emporté que deux trois habits et un livre dans mon sac à dos. J’ai pensé à faire une photocopie du plan de la ville pour savoir m’orienter dès mon arrivée.
C’est sans problème que j’ai pris le bus. Je connais maintenant le prix des rickshaws pour me rendre à la station : entre 70 et 80 roupies. Je me repère bien sur place et il m’est aisé d’aller demander un simple renseignement au bureau d’information. Il s’agit du même bus que pour Gingee : le numéro 158 sur le quai numéro 7. Par chance, mon bus partait juste 15 minutes après mon arrivée. J’ai été surprise car la dernière fois  lorsque je l’ai pris, il était à 7h50 et l’on m’avait assuré qu’il s’agissait du premier. Mais à l’heure où je tape ce texte, je sais maintenant que lorsque l’on annonce qu’un bus part à 11H par exemple, le départ peut très bien être à 10h30 si ça chante au conducteur. C’est ainsi que pour le retour j’ai eu une chance extraordinaire de ne pas le rater !

Le bus est vraiment pourri mais ça vaut le coup de le prendre. Pour le prix d’abord : 47 roupies pour 3 heures de bus comparées aux 80 roupies de rickshaw pour deux kilomètres en ville, ça laisse songeur !
Après il faut supporter la permanence d’un klaxon qui troue les tympans, les multiples arrêts pour le ramassage scolaire, pour prendre les gens qui vont faire leur marché et se rendent d’un village à l’autre. J’ai servi d’oreiller à une vieille dame. Pas moyen de bouger un orteil, coincée entre la fenêtre, mon sac et sa tête. A chaque arrêt des marchands vendant samosas, snacks, fruits montent par l’avant et redescendent par l’arrière facilement puisque depuis la dernière fois aucune porte n’a été montée ce qui permet aux gens de sauter dans le bus en marche.
Un homme est monté avec un encensoir et il nous a tous enfumés les uns après les autres en nous passant son espèce de plumeau sur la tête et en demandant après quelques roupies. Tout le monde donnait alors j’ai dû chercher mon porte-monnaie tombé au fond de mon sac et vue ma situation j’étais bien empêtrée. Je lui ai donc fait signe de repasser au retour : il n’a pas oublié !
Nous sommes arrivés juste après un accident de la route mettant en cause une moto et une voiture qui a fini sa course dans le coin d’une maison en paille. Rien d’étonnant vu l’art de conduire ici. Comme je l’ai déjà écrit, ça passe ou ça casse et quand ça casse, ça fait très mal vu que les motards n’ont jamais de casque et qu’aucune limitation de vitesse ne semble exister.
Pendant le trajet j’ai été heureuse de repasser devant les belles collines de Gingee. Cette fois le temps était plus gris mais cela n’otait rien à leur force. A la sortie de cette petite ville, très vite se sont dessinées les montagnes de Tiruvannamalai et plus précisément Arunachala, le mont sacré. Je n’ai cessé de le regarder jusqu’à mon arrivée trois heures après.
En arrivant le conducteur m’a renseignée très aimablement sur les horaires du retour : il parlait un tamil-anglais mais on a pu quand même se comprendre.
J’ai décidé de ne pas prendre un rickshaw pour voir si j’étais capable de m’orienter seule avec la carte. J’ai beaucoup de plaisir à trouver des repères sans l’aide des autres et ça me permet de découvrir de nouveaux lieux autrement qu’à pleine vitesse. J’ai longé la montagne sur plus de 3 kilomètres en prenant à gauche en sortant la station de bus.

 C’est toujours tout droit jusqu’au temple Arunchaleshvara qu’il faut ensuite contourner par l’arrière. Il est majestueux, très haut et ce qui est amusant c’est de voir les singes grimper sur les portes et s’amuser autour des sculptures des divinités et de leurs montures. ( cherchez quelques singes!)

J’étais contente d’avoir peu de choses à porter pour une fois. Comme je ne savais pas où j’allais manger et si autour de l’ashram il allait y avoir la possibilité de faire quelques courses, j’ai acheté à de petits marchands des goyaves et des mangues.
Très vite- au bout de trois quart d’heures quand même mais je n’ai pas vu le temps passer- je suis arrivée devant la grande porte de l’ashram de Sri Ramana Maharsi. J’étais vraiment fière de m’être débrouillée seule sans rencontrer la moindre difficulté en route. Avant on passe devant un autre ashram.

 Le long de la route de nombreux saddhus tendent la main pour quelques roupies et je saurai très vite que Tiruvannamalai est la ville où les miséreux ont vite compris qu’il y avait matière à tenter la pitié…donc ne pas rentrer dans ce « jeu » et bien savoir à qui on donne quand on le fait et pourquoi on le fait.
Dans la cour, au milieu d’une végétation luxuriante, près d'un arbre au tronc magnifique j’ai laissé mes chaussures au pied d’un escalier sculpté et j’ai vite repéré l’office et le bureau du Président qui avait répondu à mon email imprimé que je tenais fermement dans ma main. 

Dans le bureau il n’y avait personne donc j’ai appelé et une voix m’a invitée à m’asseoir et à attendre. A ce moment, en bourrasque une femme est entrée en posant plein de sacs et m’a fait signe de la suivre. Je ne savais pas qui elle était ni pourquoi elle semblait si pressée que je la suive moi qui pensais arriver dans un lieu calme où le temps a moins de prise. Un peu déconcertée mais pensant qu’elle allait me montrer ma chambre, je l’ai suivie avec tous mes sacs. Seulement elle allait tellement vite que je la perdais sans cesse de vue et je me suis retrouvée à traverser presqu’en courant une grande salle où les gens étaient assis en train de méditer. Pas une fois cette femme s’est retournée pour voir si je la suivais ou non. Le sol me brûlait les pieds et à chaque fois qu’un bout de bois ou un gravillon me rentrait dans la chair je réprimais un cri. En plus j’étais en proie à une furieuse envie d’aller aux toilettes.  En fait, je me suis retrouvée dans le dining-room. Les portes allaient fermer ce qui expliquait le sprint dans l’ashram. Tout ça pour manger ! Les portes ont été fermées à clé derrière moi et plus moyen d’aller aux toilettes et de me laver les mains. Le hall était immense et parsemé de feuilles de bananier et de verres en métal posés sur le sol et les gens en file indienne s’asseyait au fur et à mesure de leur arrivée devant la feuille. J’ai posé mes sacs dans un coin et je me suis installée comme les autres. J’étais très mal à l’aise car ma hanche me faisait très mal et je me voyais mal manger avec ma main droite immonde sans pouvoir me plier vers l’avant, d’autant plus que j’avais la vessie pleine ; Je voyais déjà la catastrophe arrivée. Toutes les mains gauches étaient condamnées et cette fois je n’allais pas pouvoir tricher. Je voyais la crasse de ma main avec laquelle j’ai dû en plus laver ma feuille de bananier, mais bon fallait que j’assume la situation et c’est ce que j’ai fait.  Des hommes avec des sauts passent les uns après les autres, qui servant le riz, qui un peu d’huile à froid – c’est une première depuis que je suis en Inde !-, qui une sauce, qui une autre, qui  de l’eau….Le problème avec la sauce c’est qu’on te la sert à 60 cm d’altitude et quand ça arrive sur ta feuille tu en prends une partie sur toi. Tout était brûlant et je me demandais comment ces gens pouvaient se lancer avec leurs trois derniers doigts aussi vite dans cet immense malaxage. Leurs mains sont comme leurs pieds, insensibles. Pas les miennes ! Finalement j’ai compris l’intérêt des trois derniers doigts puisque cela permet de pousser avec le pouce resté libre et j’ai réussi à manger en tentant d’oublier l’idée de la saleté. C’est plus frugal qu’à l’ashram de Pondichery mais surtout meilleur et plus équilibré. Et finalement je saurai bien vite que l’on vient nous resservir si besoin. Mais quand à côté de toi tu as quelqu’un qui ne prend qu’un peu de riz, c’est assez culpabilisant de vouloir se faire resservir. Pour ce premier repas j’ai bien aimé le dessert, le seul d’ailleurs que j’ai aimé pendant mon séjour : une sorte de boisson laiteuse mixant céréales, épices, cajous. C’est peut-être ce qu’ils appellent l’Uttapam.
Ensuite j’ai attendu le signal pour me lever, et j’ai fait comme tout le monde, la queue la main pleine de jus collé en pince, pour se nettoyer…mais moi je ne crache pas, je ne râcle pas ma gorge, je ne rote pas et je ne pète pas. Ici comme partout en Inde, ça ne pose aucun problème, quand ça doit sortir, ça sort, même en pleine méditation : la classe.
Ensuite j’ai affronté pieds nus les toilettes à l’indienne, heureusement qu’il y avait aussi un baquet pour se laver les pieds…Finalement après,  on m’a donné la clé de ma chambre après m’avoir posé quelques questions sur mon travail à l’ashram de Pondi.  Dans ma salle de bain, pas de douche, juste deux petits robinets d’eau froide et pas de chasse d’eau. Là encore, c’est avec le seau qu’il faut y aller.

 Fini de jouer les occidentales,  je me mets en mode indienne sans louvoyer car je ne peux tout simplement pas. Sinon la chambre est grande, très propre, carrelage à l’ancienne, meubles en bois, étagères en dur. 

J’aime beaucoup ce lieu en fait et je suis dans un endroit reculé de la route, entourée de magnifiques arbres, de singes, de paons, de chats et de chiens.


 J’ai juste un homme qui dort sans cesse allongé devant ma porte, je pense que c’est le gardien. Tout va bien tant qu’il ne crache pas…mais il crache comme les autres trop souvent et ça a vraiment toujours un sale effet sur moi….ça me dégoûte complètement…
C'est comme un gros moustique que je ne dois pas écraser en sortant!
 
J’ai fait un tour de l’ashram et j’ai repéré la porte qui mène à la montagne ainsi qu’au circuit « sacré » qui l’entoure et que les pélerins empruntent les jours de pleine lune. J’ai demandé si là tout de même on pouvait mettre des chaussures et un travailleur m’a rassurée en me disant que même dans l’enceinte de l’ashram je pouvais les mettre sauf pour entrer dans les salles. Le bonheur retrouvé ! Finies les brûlures : je n’ai rien d’un fakir et aucun désir de le devenir. Je veux garder ma peau de bébé sous mes pieds et je ne veux pas avoir cette corne fissurée que je vois chez les indiens. 
Me voilà donc bien installée. C’est un lieu très calme malgré la proximité de la ville bruyante.  Cependant je suis un peu nauséeuse depuis le repas mais ça doit être la fatigue couplée à la chaleur.
Le programme des journées à l’ashram semble très dense même si au final il y a très peu d’actions : beaucoup de méditation, puja, mantra, nourriture aux pauvres, lectures des œuvres du Guru.
Pour ma part, la vraie détente je l’obtiens en me mêlant à tous ces singes qui bordent ma chambre. L’indien qui squatte par terre mon perron ne cesse de leur parler et tente parfois de les tenir à distance. Mais ils sont si mignons!

 J'ai décidé de partir faire quelques pas dans la montagne en attendant le thé…
Finalement j’ai dévié mon projet car je me suis arrêtée en chemin à la librairie de l’ashram. J’ai demandé à écouter quelques musiques qui étaient en vente et me suis décidé à acheter les hymnes d’Arunachala Stuti Panchakan que je trouve très beaux et pleins de vie.
Ensuite, comme j’avais très soif je suis allée m’acheter de l’eau en face de l’ashram dans un magasin d’alimentation biologique bien contente qu’il se trouve là. J’en ai profité pour acheter quelques figues sèches et des galettes de riz car demain matin je me lève à l’aube pour aller avec ma voisine espagnole faire le tour de la montagne avant qu’il ne fasse trop chaud.
Je suis très contente dès le premier jour d’avoir trouvé un compagnon de route qui en plus semble très sympathique. Devant nos portes on s’assoit en silence pour regarder les mamans singes et leurs drôles de bébés. 

Ce qui me fait le plus rire c’est lorsque la mère décide de changer de lieu pendant que le petit est en train de téter ou de jouer à ses côtés. Le petit arrive toujours au dernier instant à se raccrocher à une touffe de poils, un bout de queue, une mamelle libre pour attraper le train en marche. C’est tout un spectacle d’observer ces bébés grands comme un demi avant-bras, sans poils ou presque, les oreilles très décollées, tenter de retrouver une certaine stabilité. Je craque totalement…

Le temple intérieur de l’ashram est magnifique et les sculptures très finement ciselées. L’atmosphère est propice au calme. Les multiples petites bougies, les encens éclairent doucement les murs et sculptures couleur ébène. L’atmosphère est d’autant plus troublante que pendant que s’effectuent les gestes liturgiques, dans la pièce d’à côté, des adultes et des enfants psalmodient sans trêve des chants védiques pendant que les dévots tournent autour de l’autel avec un rythme soutenu, enchaînant les cercles pendant de longues minutes. D’autres préfèrent écouter en méditant, assis en tailleur. Je me suis mêlée aux marcheurs pour ressentir ce que cela faisait de marcher au son de ces mantras. Je n’ai pas compris pourquoi certains allaient si vite. J’ai préféré prendre la courbe extérieur et aller lentement. Au bout d’un moment j’ai saturé, ne ressentant finalement pas grand-chose sauf mes muscles et je suis allée m’assoir en tailleur dans un petit coin. J’ai vite repéré que d’un côté étaient les femmes, de l’autre les hommes. A un moment, les chants ont changé et les gens se sont levés. J’ai suivi le mouvement par respect mais me suite vite mise à l’écart lorsque j’ai vu tout le monde plonger la tête la première pour baiser le carrelage, les jambes tendues en arrière, un pied sur l’autre. Le sens m’a complètement échappé et je n’ai senti qu’une envie de quitter la pièce. Je suis donc allée près du Samadhi de Sri Ramana, sur le côté duquel est gravée dans le mur l’histoire de sa rencontre avec la mort lorsqu’il avait à peine 16 ans et qui a conduit à son changement de vie.
A côté de moi, une femme chantait doucement. Une cloche au son très profond s’est mise à sonner et j’ai bien cru dans ce clair-obscur avec les singes accrochés aux barreaux du temple à contre-jour comme essayant d’écouter les mantra, me mettre à pleurer. Mais à ce moment, un sadhu est venu vers moi. Je l’avais croisé une fois dans le jardin. Il était maigre comme un clou, avec une très longue barbe grisonnante en bataille, et un sac en bandoulière chargé de livres et de cahiers. Il me regardait avec de grands yeux très ronds et un large sourire. Impossible d’y résister et ma tristesse s’est immédiatement envolée. Il s’est mis à me parler en tamoul, puis en anglais et quand il a su que j’étais française, il s’est mis à me parler en français courant. J’imagine bien qu’il connaît aussi d’autres langues comme le sanskrit, l’hindi…. Il avait beaucoup d’humour et par la suite quand je suis allée écouter les pudjas que chantaient à présent la femme qui était à côté de nous quelques minutes auparavant, je l’ai vu agrippé au samadhi en train de claquer des doigts et de marteler le rythme, la main posée sur ses longs cheveux. Il me plaisait bien lui, et j’avais très envie de le connaître un peu plus mais je reste peu de temps avec tout de même l’intention de conserver au maximum le silence.
Avant le repas, j’ai décidé d’aller faire quelques pas dans la montagne par le petit passage. En arrivant, le gardien m’a dit quelque chose, je n’ai rien compris et je suis passée en hochant juste la tête. J’ai compris plus tard ce qu’il me disait car lorsque j’ai voulu revenir un peu apeurée de me retrouver seule face à une assemblée de singes d’une autre espèce qui s’amusaient  à s’assoir en me regardant nonchalamment  au milieu du chemin et de chiens hurlant à la mort à chaque fois que je faisais un pas….la porte étaient cadenassée ! 

J’ai dû donc faire le tour de l’ashram en sillonnant un peu au hasard à la tombée de la nuit, un quartier extrêmement pauvre au milieu de gens vivant dehors. J’ai caché ma peur et j’ai répondu aux différents signes. Une petite fille m’a un peu guidée pendant qu’elle allait chercher de l’eau avec sa jarre de couleur. C’était assez impressionnant de voir tous les détritus amoncelés dans le quartier mêlés aux bouses et pisses de vaches…et d’humains.
Je pensais pour ce jour en avoir terminé avec mes péripéties. Il a pourtant fallu que je me fasse aborder puis suivre jusqu’à ma chambre par un indien américain qui s’était même caché pour voir où j’allais entrer. Mais je l’ai aperçu et assez désagréablement je lui ai demandé ce qu’il faisait, en lui rappelant assez aigrement qu’on était quand même dans un ashram ! Comme il faisait nuit noire, j’ai eu quand même un peu peur par la suite et j’ai carrément mis mon canif ouvert dans mon sac à portée de main !En arrivant au dining-room un couple m’a abordée. Je leur ai dit ce que je venais de vivre et ils m’ont orientée vers le responsable. J’étais un peu gênée de lui dire mais apparemment c’est ce qu’il convient de faire dans ce lieu. J’ai donc été escortée par la suite par une indienne.
Concernant la nourriture, j’ai adoré. J’ai mangé sur des feuilles de bétel séchées et cousues avec de fines branches. C’était très joli. Seul le service pose problème car à chaque fois que l’on me sert la sauce de haut, je reçois des éclaboussures brûlantes. Pour le petit lait, j’en reçois autant sur la main que dans mon verre. Les sauces par contre sont aromatiques, épicées et variées. Je me suis laissée emportée par ma gourmandise en en redemandant un peu à leur second passage mais ce n’est pas souvent que j’ai eu l’occasion de découvrir de si bonnes préparations. ( fin du jour 1)