Aussi étrange que cela puisse paraître, je suis en train de
vous écrire depuis la piscine de l’ambassade américaine de Delhi…( et en train
de recopier ce moment depuis le ciel car je suis dans l’avion qui relie Delhi à
Madras, superposant tous ces temps de voyage entre présent, passé et futur…).
Oui, j’avoue que je pourrais être à un endroit un peu plus indien mais les
circonstances ont fait que je me retrouve à cet endroit sans l’avoir recherché
et je me dis que je joue la grande alternance entre vadrouille, débrouille et
parfois embrouille. On n’imagine même
pas ce que l’on trouve derrière les hauts murs d’une ambassade : piscine,
terrain de cricket, restaurants, tennis…tandis que derrière la mendicité est juste
un peu éloignée pour que cela ne fasse pas trop désordre devant la porte
sécurisée en mode VIP. Il est donc des petits paradis financiers au cœur de
pays en sous-développement qui renforcent encore plus l’impression d’inégalité
et d’injustice. Les occidentaux reproduisent à leur échelle le système des
castes mais c’est plus difficile de le reconnaître parfois. Peu de personnes y
ont accès, mais en dehors de certains privilèges dû à l’activité exercée, les
membres doivent prendre un abonnement qui je crois tourne autour de 3000 euros
l’année et si je comprends bien, tout reste payant à l’intérieur y compris la
possibilité de se plonger les doigts de pied dans l’eau.
La
chaleur est étouffante.
Voici quelques jours que je n’ai pas écrit. Le temps de vie
a oblitéré le temps de l’écriture mais la trame ne cesse de se tisser dans mon
esprit. Je prends l’habitude de penser mes impressions sur un mode plus
scriptural qu’oral : en tout cas, je fais cet effort comme n’importe
quelle autre routine.
Il y a
deux jours, avec mon amie, nous sommes allées marcher longuement dans les
ruelles de Shandni Chowk et de Spice market au cœur de Old Delhi, ce lieu que
j’affectionne particulièrement. C’est assez difficile avec quelques mots, de
dessiner en traits assurés l’atmosphère de ce lieu qui mérite plus des mots brouillards,
en mode esquisse pour laisser au prochain voyageur le loisir de découvrir par
lui-même une source intarissable de points de vues.
Ici, la vie bat son plein. Il faut l’agilité du singe-plutôt
rare dans les rues de Delhi-pour slalommer entre les étalages de Street Food
débordant de casseroles, poêles à la friture rance- sauf quelques exceptions
puisque Street Food et santé devient pour certains cuisiniers une alliance non
seulement possible mais nécessaire, riz épicés, dosas, soupes relevées…., les vaches,
les chevaux, les rickshaws, la poussière balancée ici ou là, que vous passiez
ou non c’est la même chose, le mouvement ne s’arrête pas pour vous épargner,
sans compter les crachats qui vous tombent dessus à chaque coin. Les indiens
ont l’horrible habitude, homme ou femme de se racler la gorge tout au long de
la journée. Franchement c’est un truc auquel je ne peux m’habituer, ça me
dégoûte à chaque fois. Bref, c’est un feu d’artifice de mouvements, de
couleurs, de bruits, d’odeurs. Le marché est parcellisé par type d’artisans ou
de vendeurs : tissus, plomberie, soudure, alimentation, épices,
papèteries, livres.
J’ai
adoré les ruelles des librairies car certaines en open space restent
désaffectées mais les rayons sont blindés de livres poussiéreux : on
dirait de vieux greniers dans lesquels on a envie de fouiller.
Ah, voici mon biryani qui arrive au bord de la piscine. Les
épices me chatouillent le nez, j’ai très faim donc j’abandonne l’écriture…
Il était excellent, un poil trop gras à mon goût cependant
pour cette chaleur, mais le mélange d’épices avec la coriandre était
parfait…j’en salive au moment où je continue de taper le texte car je ne suis
plus dans l’avion, j’ai pris du retard et cela fait trois jours déjà que je
mange la cuisine de l’ashram et c’est gustativement plus limité ( riz, tapioca,
yaourt aigre, pain, bananes et soupe où flottent quelques légumes…mais
spirituellement il est vrai que l’on est obligé de lâcher le seul plaisir des
papilles pour y trouver autre chose…il faut un peu de temps pour s’y
retrouver mais j’en parlerai plus tard accumulant mon retard.. .je
n’ai pas de connexion donc j’écris et j’envoie quand je peux.)
Retour
à Old Delhi. Nous avons beaucoup marché, au point à un moment de ne plus savoir
où nous nous trouvions. En cherchant la sortie, j’ai senti à un moment mon nez
me piquer fortement et atchaaaa ! je me suis mise à éternuer…Je me suis
vite aperçue qu’autour de moi cela reniflait beaucoup..c’est bon, mon amie m’a
confirmé que nous étions sur le bon chemin car nous arrivions au magnifique
marché des épices. Les ruelles s’imbriquent dans les méandres de l’architecture
d’une mosquée. C’est splendide. Impressionnant de voir le poids des sacs que
les indiens se trimballent sur le dos . Les occidentaux devraient en prendre
de la graine : malgré des corpulences étroites et certainement pas une
nourriture très carnée, ces travailleurs
ont une force étonnante. Ils poussent des charrettes que même vides, à deux
nous ne parvenons pas à décaler d’un centimètre. Il a bien fallu faire le test
car nous nous sommes retrouvées coincées dans un embouteillage de déchargement
sans possibilité aucune de se faufiler. C’était amusant en parallèle de cette
situation d’avoir une bande son d’éternuements assez dysharmoniques dans tous
les sens. Apparemment le corps ne s’habitue pas à recevoir cette quantité de
molécules odoriférantes. Les piments rouges nous environnaient, chatoyant, avec
l’envie d’y plonger la main mais mieux valait s’abstenir. Les poudres
multicolores autour sont un vrai bonheur pour les yeux et le nez. Le tout
mélangé à des volutes d’encens se consumant au milieu des sacs cachant
ainsi l’odeur certainement présente dessous des détritus et miasmes d’urine. En
effet, mieux vaut ne pas trop s’attarder sur les murs maculés de gaviots et de
pisse au pied desquels s’accumulent des épluchures, papiers flottant sur une
eau que l’on pourrait appeler une maternité à moustiques.
En
repartant j’ai observé des pichets tenus par une main au corps invisible
sortant entre des grilles au bout
desquels les hommes se désaltéraient en passant .
Au cœur de ce marché il est une ruelle d’une rare
beauté : on aurait tendance à l’esquiver puisqu’il faut se détacher
rapidement du premier mètre pestilentiel pour s’extasier. Les portes d’entrée
des maisons sont plus belles les unes que les autres : couleurs,
ciselures, moulures obligent à s’arrêter et à se nourrir de tant de beauté.
Nous
avons finalement après quelques kilomètres, retrouvé notre point de départ, les
orteils bouillants comme si on les avait plongé dans un thé brûlant. Il a fallu
faire le vide des rickshaws collants autour de nous et de quelques bouchées de
pickpockets bien organisés.
Petite
frustration lors du repas qui a suivi dans une cantine un peu à la Mac Do
d’ici : tout aussi dégueulasse pour moi. Cela baignait dans le gras, pas
encore une once de légumes alors que la photo les affichait et à chaque plat je
me suis retrouvée avec ce fromage « paneer » qu’ils mettent à toutes
les sauces justement…Toujours l’impression d’avoir un chamallow glissant dans
la bouche avec une grosse difficulté à déglutir. Cela dit, j’ai quand même
passé un bon moment à discuter et à me rafraîchir.
L’après-midi aussi a été aussi pour moi un moment magique.
Depuis le début j’avais envie d’entrer dans l’un de ces magnifiques temples
Sikhs qui se trouvent ici et là dans la ville entre deux mosquées. J’avais bien
raison. Je suis entrée dans le temple de
Guru Dwala Sisgovyu.
Je me suis couvert la tête d’un foulard et j’ai d’abord
observé ne sachant pas trop quels rites suivre. Au final, j’ai suivi le
mouvement. Je me suis déchaussée, on m’a donné un jeton et un grand sourire
encourageant. J’ai traversé le pédiluve, me suis lavée les mains et j’ai suivi
dans le faire de même les dévots qui baisaient chaque marche de l’escalier. Une
fois sur l’esplanade, baignée dans ce
blanc, je me suis trouvée dans un tourbillon de lumière et me suis laissée
guider. Je suis arrivée en plein cérémonial. Au centre, un homme avec un turban
orange et un espèce de bâton comme un encensoir en forme de plumeau faisait des
gestes très lents au-dessus d’une couche ( certainement la tombe du Guru.) Des
chants sacrés l’accompagnaient. Autour de lui dans un premier carré séparé par
une barrière, certains pratiquants étaient prosternés à terre. Dans le second
carré qui délimitait l’intérieur du temple, les autres personnes écoutaient,
regardaient, méditaient assis en tailleur. Je me suis trouvée un petit coin et
j’ai encore une fois observé pour savoir ce que je devais faire par la suite pour
suivre le mouvement. J’ai suivi ceux qui se relevaient à pas très lents, me
sentant planer dans cette atmosphère. C’est étrange cette sensation d’énergie
que l’on peut ressentir lors de certains rituels collectifs…il faut le vivre
pour savoir qu’il n’est pas aisé d’en parler.
Par la
porte arrière, j’ai été invitée à prendre en mettant mes mains en coupole une
boulette de pâte de noisettes assez grasse. J’ai légèrement goûté et me suis
trouvée embarrassée du reste car il me fallait par la suite m’avancer vers un
autre homme qui tendait un pichet duquel sortait de l’eau recueillie et bue
dans les mains des dévots. J’ai retrouvé ma feinte du kleenex ( ne jamais
partir sans son paquet mis à part le fait qu’en Inde le papier toilette est une
denrée rare, il peut aussi permettre de jeter les choses vu que les poubelles
sont par endroit aussi rares que le pq.) L’homme au pichet, voyant mon
hésitation- je me disais que l’eau ne devait pas être forcément potable- m’a
invitée d’un beau sourire à m’approcher. J’ai donc mis mes mains à nouveau en
coupelle et en me versant l’eau il m’a dit « for you, just once a
time. » J’ai laissé filer l’eau entre mes doigts et juste humecté mes
lèvres et c’est peut-être juste ce qu’il fallait faire…en attendant, j’ai
apprécié les invitations, j’étais traitée comme tout le monde, peut-être aussi
parce que je faisais plus qu’un simple touriste : je participais.
Puis j’ai descendu quelques marches en marbre pour me
retrouver face à un bassin d’eau gigantesque, entouré d’une esplanade tout en
marbre blanc également, éblouissante. La magnificence du lieu, des arcades
m’ont fait monter les larmes aux yeux…j’étais dans un palais des mille et une
nuits…Dans une double bordure autour du bassin, nageaient de magnifiques
poissons rouges, carpes, poissons chats. Certaines personnes se baignaient,
essentiellement des hommes dans cette espace bordant cette étendue d’eau dans
laquelle se reflétaient et le ciel bleu, et le temple blanc au toit d’or…je
vous laisse imaginer l’effet de ce miroir dans le cœur et l’esprit de celui qui
le contemple…Cela donnerait presque le vertige.
J’ai fait le tour de cet espace le plus lentement possible,
savourant chaque instant, j’ai esquivé le dernier bol d’eau et suis allée
récupérer mes chaussures en me rendant compte qu’à l’aller j’étais passée dans
la file des hommes mais apparemment cela n’a pas posé de problème…
J’ai
préféré cette visite à Humayumb tomb’s. J’avais trouvé le monument très
intéressant et le jardin agréable à traverser mais rien de comparable au temple
Sikh : deux monuments imposants mais l’un écrase, l’autre, élève et
allège…Cela dit ça vaut le coup d’aller visiter ce monument musulman et de voir
les quelques jouets d’enfants en terre mis en exposition à l’entrée. De plus si
on a des enfants, c’est une véritable chasse aux plumes de perroquets qui peut
être improvisée auxquelles ils rajouteront de grandes plumes d’aigles pour leur
plaisir…
Bon, toujours au bord de ma piscine de l’ambassade
américaine- toujours à la croisée de mes différents temps- je viens de me
mettre un peu en colère contre un indien de service qui est venu me tanner pour
que je lui paye en monnaie sonnante et trébuchante mon trempage dans la piscine
alors que je lui ai déjà expliqué qui m’invitait. Il avait peur que je parte sans
payer, c’est dingue cette surveillance de bas étage dans un lieu si
prestigieux. Cela dit je comprends que certains aient pris parfois le loisir de
s’esquiver en douce car c’est assez aberrant de voir qu’il faut payer pour tout
ici comme si cela ne pouvait être compris par exemple dans le fait qu’on mange
sur place et qu’on paye du coup la note du restaurant…mais non…Mieux vaut
n’avoir qu’un gosse sinon ça revient cher l’après-midi. Les abonnés payent 3000
euros l’année, ça fait cher le plongeon et les privilèges qui s’achètent pour
financer je ne sais quoi mais pas un bassin pour les écoliers et les enfants
moins riches.
Le lendemain de la visite du temple Sikh j’ai eu une
magnifique journée aussi. Une connaissance nous a fait quitter un peu Delhi
vers le Sud. Nous sommes allés au village de Merhauli. Pour y arriver nous
passons devant Qutub Minar, le grand minaret de Delhi.
Rien à voir avec le tumulte et l’ambiance de Delhi. Une
véritable coupure s’opère. Atmosphère, couleurs, tout semble se rapprocher du
Radjasthan.
Dans le village nous avons bifurqué sur la gauche où nous
avons pu photographier les vestiges d’une ancienne citerne à eau : c’est
comme s’il s’agissait d’un temple ou d’un therme creusé dans le sol…( voir
photos) .
Ensuite nous avons longé des petites fermes en zigzaguant
entre des cochons noirs sauvages pour déboucher sur d’anciennes tombes plus ou
moins recouvertes de branchages. Modestie du lieu, je me sentais beaucoup plus
touchée que face aux mausolées imposants des « grands ». A proximité
une autre citerne d’une dimension imposante avec arcades, puits, escaliers
gigantesques en pierre. A éviter avec les enfants ou bien les tenir en
laisse ! En grimpant les escaliers on a un point de vue extraordinaire sur
des dômes de pierres dissimulés sous de petites forêts environnantes. La beauté
du lieu m’a laissée sans voix quelques temps…juste un lieu sacré à respecter et
à écouter résonner avec le lieu absolument non touristique. J’ai eu un
magnifique face à face dans les escaliers avec un chat sauvage : on est
restés rivés les yeux dans les yeux…un pur bonheur de voir ce chat couleur de
pierre, tous muscles saillants s’arrêter dans une pause qui m’a offert une
jolie photo.
En poursuivant le long des sentiers la visite et grâce aux
conseils d’un garde nous avons pu nous rapprocher par l’arrière du minaret et
là encore, je pense que les touristes venus en car par l’autre côté n’auront
jamais cette vision si privilégiée.
Mon meilleur moment est peut-être la rencontre un peu
surnaturelle d’un berger digne de la genèse : grand, habillé tout de
blanc, beau comme un prince de conte de fée. Il gardait ses chèvres sous un
dôme, silencieusement, jetant vers moi un regard d’ébène absolument
décontenançant. De loin il m’avait aperçue et lentement, se déplaçant comme un
danseur, il passait d’une colonne à l’autre au milieu d’une lumière
traversante. J’étais fascinée par la beauté de cette scène.
Le dernier jour a été simple, je suis partie marcher tôt
dans le parc de la colonie et ce qui est intéressant c’est de voir que chaque
jour à sa priorité : ce jour, les indiens faisaient tous du yoga, de la
méditation, du pranayama….
Je m’arrêterai là pour les souvenirs de Delhi tout en
remerciant chaleureusement mon amie qui m’a permis de me filer quelques tuyaux
très utiles pour la suite de mes pérégrinations en solitaire.
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