dimanche 24 juin 2012

Delhi suite and end


Aussi étrange que cela puisse paraître, je suis en train de vous écrire depuis la piscine de l’ambassade américaine de Delhi…( et en train de recopier ce moment depuis le ciel car je suis dans l’avion qui relie Delhi à Madras, superposant tous ces temps de voyage entre présent, passé et futur…). Oui, j’avoue que je pourrais être à un endroit un peu plus indien mais les circonstances ont fait que je me retrouve à cet endroit sans l’avoir recherché et je me dis que je joue la grande alternance entre vadrouille, débrouille et parfois embrouille.  On n’imagine même pas ce que l’on trouve derrière les hauts murs d’une ambassade : piscine, terrain de cricket, restaurants, tennis…tandis que derrière la mendicité est juste un peu éloignée pour que cela ne fasse pas trop désordre devant la porte sécurisée en mode VIP. Il est donc des petits paradis financiers au cœur de pays en sous-développement qui renforcent encore plus l’impression d’inégalité et d’injustice. Les occidentaux reproduisent à leur échelle le système des castes mais c’est plus difficile de le reconnaître parfois. Peu de personnes y ont accès, mais en dehors de certains privilèges dû à l’activité exercée, les membres doivent prendre un abonnement qui je crois tourne autour de 3000 euros l’année et si je comprends bien, tout reste payant à l’intérieur y compris la possibilité de se plonger les doigts de pied dans l’eau.
                La chaleur est étouffante.
Voici quelques jours que je n’ai pas écrit. Le temps de vie a oblitéré le temps de l’écriture mais la trame ne cesse de se tisser dans mon esprit. Je prends l’habitude de penser mes impressions sur un mode plus scriptural qu’oral : en tout cas, je fais cet effort comme n’importe quelle autre routine.
                Il y a deux jours, avec mon amie, nous sommes allées marcher longuement dans les ruelles de Shandni Chowk et de Spice market au cœur de Old Delhi, ce lieu que j’affectionne particulièrement. C’est assez difficile avec quelques mots, de dessiner en traits assurés l’atmosphère de ce lieu qui mérite plus des mots brouillards, en mode esquisse pour laisser au prochain voyageur le loisir de découvrir par lui-même une source intarissable de points de vues.
Ici, la vie bat son plein. Il faut l’agilité du singe-plutôt rare dans les rues de Delhi-pour slalommer entre les étalages de Street Food débordant de casseroles, poêles à la friture rance- sauf quelques exceptions puisque Street Food et santé devient pour certains cuisiniers une alliance non seulement possible mais nécessaire, riz épicés, dosas, soupes relevées…., les vaches, les chevaux, les rickshaws, la poussière balancée ici ou là, que vous passiez ou non c’est la même chose, le mouvement ne s’arrête pas pour vous épargner, sans compter les crachats qui vous tombent dessus à chaque coin. Les indiens ont l’horrible habitude, homme ou femme de se racler la gorge tout au long de la journée. Franchement c’est un truc auquel je ne peux m’habituer, ça me dégoûte à chaque fois. Bref, c’est un feu d’artifice de mouvements, de couleurs, de bruits, d’odeurs. Le marché est parcellisé par type d’artisans ou de vendeurs : tissus, plomberie, soudure, alimentation, épices, papèteries, livres.
                J’ai adoré les ruelles des librairies car certaines en open space restent désaffectées mais les rayons sont blindés de livres poussiéreux : on dirait de vieux greniers dans lesquels on a envie de fouiller.
Ah, voici mon biryani qui arrive au bord de la piscine. Les épices me chatouillent le nez, j’ai très faim donc j’abandonne l’écriture…
Il était excellent, un poil trop gras à mon goût cependant pour cette chaleur, mais le mélange d’épices avec la coriandre était parfait…j’en salive au moment où je continue de taper le texte car je ne suis plus dans l’avion, j’ai pris du retard et cela fait trois jours déjà que je mange la cuisine de l’ashram et c’est gustativement plus limité ( riz, tapioca, yaourt aigre, pain, bananes  et soupe où flottent quelques légumes…mais spirituellement il est vrai que l’on est obligé de lâcher le seul plaisir des papilles pour y trouver autre chose…il faut un peu de temps pour s’y retrouver  mais j’en parlerai plus tard accumulant mon retard.. .je n’ai pas de connexion donc j’écris et j’envoie quand je peux.)
                Retour à Old Delhi. Nous avons beaucoup marché, au point à un moment de ne plus savoir où nous nous trouvions. En cherchant la sortie, j’ai senti à un moment mon nez me piquer fortement et atchaaaa ! je me suis mise à éternuer…Je me suis vite aperçue qu’autour de moi cela reniflait beaucoup..c’est bon, mon amie m’a confirmé que nous étions sur le bon chemin car nous arrivions au magnifique marché des épices. Les ruelles s’imbriquent dans les méandres de l’architecture d’une mosquée. C’est splendide. Impressionnant de voir le poids des sacs que les indiens se trimballent sur le dos . Les occidentaux devraient en prendre de la graine : malgré des corpulences étroites et certainement pas une nourriture très carnée,  ces travailleurs ont une force étonnante. Ils poussent des charrettes que même vides, à deux nous ne parvenons pas à décaler d’un centimètre. Il a bien fallu faire le test car nous nous sommes retrouvées coincées dans un embouteillage de déchargement sans possibilité aucune de se faufiler. C’était amusant en parallèle de cette situation d’avoir une bande son d’éternuements assez dysharmoniques dans tous les sens. Apparemment le corps ne s’habitue pas à recevoir cette quantité de molécules odoriférantes. Les piments rouges nous environnaient, chatoyant, avec l’envie d’y plonger la main mais mieux valait s’abstenir. Les poudres multicolores autour sont un vrai bonheur pour les yeux et le nez. Le tout mélangé à des volutes d’encens se consumant au milieu des sacs cachant ainsi l’odeur certainement présente dessous des détritus et miasmes d’urine. En effet, mieux vaut ne pas trop s’attarder sur les murs maculés de gaviots et de pisse au pied desquels s’accumulent des épluchures, papiers flottant sur une eau que l’on pourrait appeler une maternité à moustiques.
                En repartant j’ai observé des pichets tenus par une main au corps invisible sortant entre  des grilles au bout desquels les hommes se désaltéraient en passant .
Au cœur de ce marché il est une ruelle d’une rare beauté : on aurait tendance à l’esquiver puisqu’il faut se détacher rapidement du premier mètre pestilentiel pour s’extasier. Les portes d’entrée des maisons sont plus belles les unes que les autres : couleurs, ciselures, moulures obligent à s’arrêter et à se nourrir de tant de beauté.
                Nous avons finalement après quelques kilomètres, retrouvé notre point de départ, les orteils bouillants comme si on les avait plongé dans un thé brûlant. Il a fallu faire le vide des rickshaws collants autour de nous et de quelques bouchées de pickpockets  bien organisés.
                Petite frustration lors du repas qui a suivi dans une cantine un peu à la Mac Do d’ici : tout aussi dégueulasse pour moi. Cela baignait dans le gras, pas encore une once de légumes alors que la photo les affichait et à chaque plat je me suis retrouvée avec ce fromage « paneer » qu’ils mettent à toutes les sauces justement…Toujours l’impression d’avoir un chamallow glissant dans la bouche avec une grosse difficulté à déglutir. Cela dit, j’ai quand même passé un bon moment à discuter et à me rafraîchir.
L’après-midi aussi a été aussi pour moi un moment magique. Depuis le début j’avais envie d’entrer dans l’un de ces magnifiques temples Sikhs qui se trouvent ici et là dans la ville entre deux mosquées. J’avais bien raison.  Je suis entrée dans le temple de Guru Dwala Sisgovyu.
Je me suis couvert la tête d’un foulard et j’ai d’abord observé ne sachant pas trop quels rites suivre. Au final, j’ai suivi le mouvement. Je me suis déchaussée, on m’a donné un jeton et un grand sourire encourageant. J’ai traversé le pédiluve, me suis lavée les mains et j’ai suivi dans le faire de même les dévots qui baisaient chaque marche de l’escalier. Une fois sur  l’esplanade, baignée dans ce blanc, je me suis trouvée dans un tourbillon de lumière et me suis laissée guider. Je suis arrivée en plein cérémonial. Au centre, un homme avec un turban orange et un espèce de bâton comme un encensoir en forme de plumeau faisait des gestes très lents au-dessus d’une couche ( certainement la tombe du Guru.) Des chants sacrés l’accompagnaient. Autour de lui dans un premier carré séparé par une barrière, certains pratiquants étaient prosternés à terre. Dans le second carré qui délimitait l’intérieur du temple, les autres personnes écoutaient, regardaient, méditaient assis en tailleur. Je me suis trouvée un petit coin et j’ai encore une fois observé pour savoir ce que je devais faire par la suite pour suivre le mouvement. J’ai suivi ceux qui se relevaient à pas très lents, me sentant planer dans cette atmosphère. C’est étrange cette sensation d’énergie que l’on peut ressentir lors de certains rituels collectifs…il faut le vivre pour savoir qu’il n’est pas aisé d’en parler.
                Par la porte arrière, j’ai été invitée à prendre en mettant mes mains en coupole une boulette de pâte de noisettes assez grasse. J’ai légèrement goûté et me suis trouvée embarrassée du reste car il me fallait par la suite m’avancer vers un autre homme qui tendait un pichet duquel sortait de l’eau recueillie et bue dans les mains des dévots. J’ai retrouvé ma feinte du kleenex ( ne jamais partir sans son paquet mis à part le fait qu’en Inde le papier toilette est une denrée rare, il peut aussi permettre de jeter les choses vu que les poubelles sont par endroit aussi rares que le pq.) L’homme au pichet, voyant mon hésitation- je me disais que l’eau ne devait pas être forcément potable- m’a invitée d’un beau sourire à m’approcher. J’ai donc mis mes mains à nouveau en coupelle et en me versant l’eau il m’a dit «  for you, just once a time. » J’ai laissé filer l’eau entre mes doigts et juste humecté mes lèvres et c’est peut-être juste ce qu’il fallait faire…en attendant, j’ai apprécié les invitations, j’étais traitée comme tout le monde, peut-être aussi parce que je faisais plus qu’un simple touriste : je participais.
Puis j’ai descendu quelques marches en marbre pour me retrouver face à un bassin d’eau gigantesque, entouré d’une esplanade tout en marbre blanc également, éblouissante. La magnificence du lieu, des arcades m’ont fait monter les larmes aux yeux…j’étais dans un palais des mille et une nuits…Dans une double bordure autour du bassin, nageaient de magnifiques poissons rouges, carpes, poissons chats. Certaines personnes se baignaient, essentiellement des hommes dans cette espace bordant cette étendue d’eau dans laquelle se reflétaient et le ciel bleu, et le temple blanc au toit d’or…je vous laisse imaginer l’effet de ce miroir dans le cœur et l’esprit de celui qui le contemple…Cela donnerait presque le vertige.
J’ai fait le tour de cet espace le plus lentement possible, savourant chaque instant, j’ai esquivé le dernier bol d’eau et suis allée récupérer mes chaussures en me rendant compte qu’à l’aller j’étais passée dans la file des hommes mais apparemment cela n’a pas posé de problème…
                J’ai préféré cette visite à Humayumb tomb’s. J’avais trouvé le monument très intéressant et le jardin agréable à traverser mais rien de comparable au temple Sikh : deux monuments imposants mais l’un écrase, l’autre, élève et allège…Cela dit ça vaut le coup d’aller visiter ce monument musulman et de voir les quelques jouets d’enfants en terre mis en exposition à l’entrée. De plus si on a des enfants, c’est une véritable chasse aux plumes de perroquets qui peut être improvisée auxquelles ils rajouteront de grandes plumes d’aigles pour leur plaisir…
Bon, toujours au bord de ma piscine de l’ambassade américaine- toujours à la croisée de mes différents temps- je viens de me mettre un peu en colère contre un indien de service qui est venu me tanner pour que je lui paye en monnaie sonnante et trébuchante mon trempage dans la piscine alors que je lui ai déjà expliqué qui m’invitait. Il avait peur que je parte sans payer, c’est dingue cette surveillance de bas étage dans un lieu si prestigieux. Cela dit je comprends que certains aient pris parfois le loisir de s’esquiver en douce car c’est assez aberrant de voir qu’il faut payer pour tout ici comme si cela ne pouvait être compris par exemple dans le fait qu’on mange sur place et qu’on paye du coup la note du restaurant…mais non…Mieux vaut n’avoir qu’un gosse sinon ça revient cher l’après-midi. Les abonnés payent 3000 euros l’année, ça fait cher le plongeon et les privilèges qui s’achètent pour financer je ne sais quoi mais pas un bassin pour les écoliers et les enfants moins riches.
Le lendemain de la visite du temple Sikh j’ai eu une magnifique journée aussi. Une connaissance nous a fait quitter un peu Delhi vers le Sud. Nous sommes allés au village de Merhauli. Pour y arriver nous passons devant Qutub Minar, le grand minaret de Delhi.
Rien à voir avec le tumulte et l’ambiance de Delhi. Une véritable coupure s’opère. Atmosphère, couleurs, tout semble se rapprocher du Radjasthan.
Dans le village nous avons bifurqué sur la gauche où nous avons pu photographier les vestiges d’une ancienne citerne à eau : c’est comme s’il s’agissait d’un temple ou d’un therme creusé dans le sol…( voir photos) .
Ensuite nous avons longé des petites fermes en zigzaguant entre des cochons noirs sauvages pour déboucher sur d’anciennes tombes plus ou moins recouvertes de branchages. Modestie du lieu, je me sentais beaucoup plus touchée que face aux mausolées imposants des « grands ». A proximité une autre citerne d’une dimension imposante avec arcades, puits, escaliers gigantesques en pierre. A éviter avec les enfants ou bien les tenir en laisse ! En grimpant les escaliers on a un point de vue extraordinaire sur des dômes de pierres dissimulés sous de petites forêts environnantes. La beauté du lieu m’a laissée sans voix quelques temps…juste un lieu sacré à respecter et à écouter résonner avec le lieu absolument non touristique. J’ai eu un magnifique face à face dans les escaliers avec un chat sauvage : on est restés rivés les yeux dans les yeux…un pur bonheur de voir ce chat couleur de pierre, tous muscles saillants s’arrêter dans une pause qui m’a offert une jolie photo.
En poursuivant le long des sentiers la visite et grâce aux conseils d’un garde nous avons pu nous rapprocher par l’arrière du minaret et là encore, je pense que les touristes venus en car par l’autre côté n’auront jamais cette vision si privilégiée.
Mon meilleur moment est peut-être la rencontre un peu surnaturelle d’un berger digne de la genèse : grand, habillé tout de blanc, beau comme un prince de conte de fée. Il gardait ses chèvres sous un dôme, silencieusement, jetant vers moi un regard d’ébène absolument décontenançant. De loin il m’avait aperçue et lentement, se déplaçant comme un danseur, il passait d’une colonne à l’autre au milieu d’une lumière traversante. J’étais fascinée par la beauté de cette scène.
Le dernier jour a été simple, je suis partie marcher tôt dans le parc de la colonie et ce qui est intéressant c’est de voir que chaque jour à sa priorité : ce jour, les indiens faisaient tous du yoga, de la méditation, du pranayama….
Je m’arrêterai là pour les souvenirs de Delhi tout en remerciant chaleureusement mon amie qui m’a permis de me filer quelques tuyaux très utiles pour la suite de mes pérégrinations en solitaire.


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